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Meyerbeer, et le maître, à cette heure bénie entre toutes les heures de sa vie, à cette heure radieuse du plein épanouissement de son génie, a voulu, pour entourer son couple immortel, ressusciter tout un siècle. Les moindres personnages des Huguenots : la reine, Nevers, Saint-Bris, sont des types caractérisés, et même ces rôles de second plan voudraient des artistes de premier ordre.

Avec une profonde intelligence de l’histoire, avec une entente parfaite des oppositions théâtrales, Meyerbeer a senti qu’il fallait accuser le contraste habilement ménage par son librettiste entre les deux aspects de l’époque choisie, entre les sentimens raffinés et les passions sauvages qui se partagèrent l’âme de la renaissance italienne, puis de la renaissance française. Il n’est pas un drame plus pathétique que les Huguenots ; Il n’en est pas qui s’ouvre par un plus léger prologue. Les deux premiers actes ne sont qu’un charmant tableau de la vie aristocratique et princière à la fin du XVIe siècle. Je vois encore M. Faure, dans le rôle de Nevers, levant son gobelet d’or pour boire aux beaux jours de la jeunesse. » Comme il savait, lui, présider ce banquet de gentilhommes, cet élégant déjeuner de garçons ! Son successeur, qui n’est pas sans mérite eu d’autres rôles, est par trop bourgeois pour celui-ci. Sous prétexte de donner au moins à son débit la désinvolture qui manque à sa démarche, M. Melchissédec fredonne du bout des lèvres tous les récitatifs du premier acte : il les mène avec une telle vivacité, que des pages entières, témoin celle qui commence ainsi : Il faut rompre l’hymen qui pour moi s’apprêtait, disparaissent dans un parlando précipité, dans un bourdonnement confus.

Autant qu’à Nevers, l’élégance fait défaut à son jeune convive. Je sais qu’il est difficile de porter galamment le pourpoint de Raoul, d’entrer, le feutre à la main, dans un cercle de grands seigneurs, de s’incliner avec une courtoisie modeste et pourtant assurée. Je sais également que M. Duc sort du Conservatoire, après de courtes études musicales et dramatiques ; qu’il faut faire grâce, ou crédit, à son inexpérience, je sais tout cela ; mais je sais aussi qu’il est imprudent de laisser des élèves quitter trop tôt l’école et s’attaquer, à peine échappés de la classe, aux plus grands rôles du répertoire. Ni le jeu, ni le chant de M. Duc ne peuvent exprimer la poésie de cette délicieuse entrée de Raoul. La grâce avenante de la jeunesse devrait se révéler ici dans chaque détail, surtout dans cette excuse du simple soldat, soldat que l’on connaît à peine, qu’il faudrait souligner d’une nuance imperceptible, et de cette boucle musicale dont Roger enveloppait si bien les dernières notes. La fameuse romance : Plus blanche que la blanche hermine, n’est pas chantée non plus dans le style voulu. Le récit qui la précède est dit avec des saccades et des hachures de voix qui le coupent désagréablement. Que l’artiste écoute donc la