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succèdent des individualités nettement caractérisées, avec toutes les imperfections et tous les appétits de l’homme du Nord ; une race vigoureuse, brutale et qui ne demande qu’à vivre. Les portraits remplaceront les types plus ou moins impersonnels, la verve l’emportera sur le recueillement ; pour frapper plus fort, on ne reculera même pas devant la grimace ou la caricature. C’est que le foyer même du mouvement s’est déplacé. La nouvelle école a pour berceau, non plus l’Ile-de-France, la Champagne, le Maine, mais la Flandre, et, en second lieu, la Bourgogne, que tant de liens rattachaient alors l’une à l’autre. Les sculpteurs de la cathédrale de Tournai, ceux de la cathédrale d’Amiens, les auteurs des statues si mouvementées et si amples de la Vierge, de saint Jean-Baptiste, de Charles V, du dauphin, de Louis d’Orléans, du cardinal de La Grange et de Bureau de La Rivière, tels sont les maîtres par les mains desquels la sculpture a réalisé ce grand progrès. Par l’effet d’un de ces grands courans internationaux, plus puissans parfois que les influences de climat ou de race, le grand sculpteur siennois Jacopo della Quercia, le véritable précurseur de Michel-Ange, s’essaie, vers la même époque, dans la solution du même problème : donner à toutes les parties de la figure humaine et jusqu’aux moindres accessoires du costume le maximum d’animation sans pour cela renoncer à la grande tournure, cette loi suprême de la statuaire.

La peinture ne tardera pas à entrer dans la même voie : prononcer les noms d’Hubert et de Jean Van Eyck, c’est dire que le coloris a acquis une vérité et un éclat inconnus aux âges précédens et qui n’ont même pas été portés plus haut depuis, c’est dire que le portrait et le paysage ont subitement pris naissance, qu’aucun des grands problèmes inhérens à cet art n’est resté sans être abordé ou résolu.


II

Passons à l’Italie. Le réalisme y a-t-il été importé des Flandres, ou bien les mêmes causes ont-elles fatalement produit les mêmes effets ? Nous nous croyons en mesure d’affirmer que si, sur de certains points, les résultats ont été identiques, si le réalisme italien n’a souvent rien en à envier au réalisme flamand, l’inspiration première a différé essentiellement dans les deux contrées. Le réalisme italien, il est facile de s’en convaincre en étudiant le rôle de Brunellesco, de Donatello, de Ghiberti et de Masaccio, se rattache intimement au réveil de l’antiquité classique. Ce retour à un idéal perdu, cette nécessité de faire abstraction des formules