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Foyer en fut la partie intime et discrète et il s’accomplissait à tous les instans du jour.

Des souvenirs inconsciens que les Grecs gardaient du vieil Orient les avaient conduits à l’adoration du feu. Une de leurs plus vieilles légendes montrait Prométhée dérobant au ciel cet agent primordial de la nature qui mit aux mains de l’homme une puissance presque égale à celle des dieux. Une étincelle de ce feu brillait jour et nuit au foyer de chaque maison, mais il était plus pur que celui qui assouplissait les métaux, car il représentait Vesta (Hestia), la déesse vierge et la sœur aînée de Jupiter. L’image se confondant avec l’être représenté, ce feu était Vesta elle-même, la gardienne de la maison, la protectrice de la famille. Devant elle ne se disaient point les paroles que la chaste déesse ne devait pas entendre et il ne se faisait rien qu’elle ne dût voir. Le père, seul prêtre du culte domestique, lui donnait les prémices de chaque repas ; il répandait pour elle des libations de vin et d’huile, et la flamme alimentée par cette offrande s’élevait plus brillante : la déesse remplissait la maison de ses purifiantes clartés.

Elle était associée aux joies de la famille. Le cinquième jour après la naissance d’un enfant, la nourrice, portant le nouveau-né dans ses bras et suivie de toute la parenté, faisait trois fois le tour du foyer, ἀμφιδόμια (amphidomia). C’était là, près de l’autel de Vesta, que l’enfant entrait véritablement dans la vie, car de ce jour cossait pour le père le droit d’abandonner son fils. Là aussi venait s’asseoir le nouvel esclave qui entrait dans la maison et, sur sa tête, on répandait des figues sèches, des dattes, des gâteaux qu’il partageait avec ses compagnons de servitude : c’était un jour de fête que Vesta leur donnait.

Pour les Grecs et les Romains, il n’y avait point de repas sans sacrifice, de même qu’il n’y en a pas pour les chrétiens sans prière. L’autel de ce culte domestique était le foyer ; et comme dans ces intelligences, traversées tout à la fois de lueurs éclatantes et d’ombres épaisses, le sentiment religieux ne distinguait pas la réalité de la fiction poétique, le foyer devint un objet sacré, un être divin. C’est à lui qu’Alceste mourante adresse ses dernières supplications et Agamemnon son premier salut, au joyeux retour de Troie ; à lui encore que la pieuse femme de Mégare confie les ossemens de Phocion en attendant qu’ils puissent être rendus au tombeau des aïeux.

Cette religion de la famille avait la sanction de l’état : elle était une des conditions du droit de cité complet. Qui perdait sa propriété et par conséquent n’avait plus ni foyer héréditaire, ni tombeau des aïeux, ne pouvait aspirer aux charges publiques,