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Certaines familles, à cause des légendes formées autour de leur nom, possédaient bien des sacerdoces héréditaires, ceux des dieux et des héros regardés comme les auteurs de leur race, ou dont elles avaient apporté le culte dans la cité. Mais cette hérédité religieuse, qui aux anciens jours avait fait leur puissance, ne leur valut, dans l’époque historique, que des honneurs et ne les affranchit d’aucun des devoirs du citoyen. Gardiens de la divinité, de son temple, de ses trésors et des traditions de son culte, les prêtres n’étaient que des fonctionnaires religieux. Ils guidaient les citoyens dans l’accomplissement des rites et ils repoussaient de l’autel national l’étranger qui n’avait pas le droit de sacrifier aux divinités poliades.

Une autre conséquence de l’absence en Grèce d’un corps sacerdotal fut qu’il n’y eut pas plus de dogme pour gêner les philosophes qu’il n’y avait de « temporel d’église » pour gêner l’état. Le Credo n’ayant pas été mis sous la garde jalouse d’une classe intéressée à le retenir au fond d’un sanctuaire, derrière des portes d’airain, la Grèce deviendra, par excellence, le pays de la libre recherche dans le domaine de la pensée.

Ce clergé, si faible politiquement, était cependant armé d’un droit considérable : il pouvait exclure un coupable des sacrifices communs et appeler la malédiction divine sur la tête d’un sacrilège. Debout et la tête tournée vers l’occident, le prêtre le maudissait en secouant sa robe sacerdotale, comme s’il le rejetait du temple et de la cité. Mais cette excommunication différait de la nôtre en un point essentiel, elle frappait pour des actes, non pour des croyances. Et comme les divinités étaient nombreuses et diversement honorées dans chaque ville, la condamnation prononcée en leur nom n’avait pas le caractère redoutable des sentences portées, au nom d’un dieu unique, par une église universelle qui ne laissait point de refuge au condamné. Mais l’excommunication grecque frappera quelquefois toute une ville, même un peuple entier que d’autres peuples feront mettre au ban de la Grèce. Alors auront lieu les longues guerres et les abominables égorgemens qui sont habituels dans les luttes religieuses.

Tels étaient les traits généraux du polythéisme grec. J’ai déjà montré le peu d’influence morale de cette religion, qui représentait les dieux comme livrés aux plus honteuses passions, commettant le vol, l’inceste, l’adultère, respirant la haine, la vengeance, et qui obscurcissait la notion du juste, en légitimant le mal par l’exemple de ceux qui auraient dû être la personnification du bien. Il faut aller plus loin et voir en elle une cause active de la démoralisation qui se développa dans les âges postérieurs.