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leur crédit parmi les hommes. Aussi étaient-ils favorables aux cités qui célébraient pour eux les fêtes les plus magnifiques ; mais, parmi les dons que leur accordaient les hommes, n’était point la bonté, qui a conquis le monde à un autre dieu. De son côté, le suppliant leur demandait pour sa vie terrestre, en retour de ses dévotions, des biens solides ; de sorte que les pompes religieuses cachaient un marché : « Donne et tu recevras. » Dans Homère, Chrysès exige qu’Apollon le défende, parce qu’il lui a sacrifié beaucoup de gras taureaux ; et, pour se venger d’Œnoe, qui négligeait son autel, Diane envoya dans son royaume le sanglier farouche qui dévasta les campagnes « de la riante Calydon. » Eschyle exprime donc le sentiment qui était au fond de tous les cœurs, lorsqu’il met cette prière dans la bouche du roi thébain que menacent de puissans ennemis : « O dieux qui habitez parmi nous, si vous donnez le succès à nos armes, si notre ville est sauvée, j’arroserai vos autels du sang des brebis et des taureaux. » Rome pensera de même : elle promettra à Jupiter des jeux magnifiques, à condition qu’il la fasse triompher du roi de Macédoine. Les Grecs n’ont pas en pour leurs dieux un respect filial ; ils les honoraient par crainte, les sachant envieux de toute prospérité humaine, et jamais ils ne les ont aimés. Lorsque Télémaque voit son père transfiguré par Minerve, il le prend pour un dieu et ses premières paroles expriment l’effroi : « Apaise-toi ; nous te ferons d’agréables sacrifices et des offrandes d’or travaillé avec art ; mais épargne-nous. » Les chiens du vieil Eumée qui ont reconnu la déesse éprouvent la même terreur : au lieu d’aboyer, ils s’enfuient en gémissant. Comme des solliciteurs que rien ne rebute, les Grecs cherchaient chaque jour à gagner leurs dieux par des présens afin qu’ils détournassent l’infortune de leur maison ou de leur cité ; mais ils n’attendaient pas d’eux, pour la vie d’outre-tombe, la béatitude que des religions différentes promettent à leurs adorateurs, et ils ne mettaient pas le bonheur éternel dans la contemplation des perfections divines. Sans doute l’amour divin, comme tous les autres, excepté l’amour maternel, est intéressé, mais il exalte les âmes ; il fait des martyrs, et l’hellénisme n’en a pas fait. La cité en a eu, point le temple. La piété d’un Grec était le patriotisme. Il est vrai que, la cité et le temple étant tout un, en mourant pour sa ville, il mourait aussi pour son foyer et pour ses divinités poliades.


VII

Les conceptions d’Homère et d’Hésiode avaient suffi aux besoins religieux du génie grec jusqu’au VIe siècle. Alors la voie où