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mais il n’avait pas encore fait parler de lui ailleurs. Une brochure qu’il publia, à la date que nous venons d’indiquer, attira sur lui l’attention d’un public plus étendu. Si, à vrai dire, elle ne produisit pas une très vive impression, elle fut cependant remarquée, et les esprits pénétrans, habiles à démêler la valeur des hommes, purent se douter que ce nouveau-venu n’était pas le premier venu.

Cet opuscule avait pour titre : Our land and land policy, qui peut se traduire ainsi : la Terre et la constitution de la propriété foncière. Il lui avait été inspiré par le spectacle qu’il avait en sous les yeux en Californie.

L’auteur avait été frappé d’un fait qui lui semblait absolument anormal. Dans une contrée d’une richesse inouïe, d’une superficie immense, qui venait à peine de s’ouvrir au courant de l’immigration, dont la population ne montait encore qu’à 600,000 âmes, si même ce chiffre était atteint, il avait vu surgir une foule de malheureux, dénués de toute ressource, de vagabonds, donnant à la police toute sorte d’embarras ; cette constatation l’avait laissé ému et troublé. D’après lui, un tel phénomène ne pouvait s’expliquer que par l’existence d’un vice dans l’organisation sociale. Ce désordre économique, il s’était mis en devoir de le rechercher, et bientôt il avait cru le découvrir.

C’était un mal déjà ancien dans le monde, et qui s’était introduit sur les côtes du Pacifique avec les premiers colons. En quelque temps, le meilleur des terres, tout ce qui était d’un accès facile, tout ce qui offrait un rapport assuré, avait été enlevé ; les capitalistes avaient fait leur razzia, et, à côté d’eux, le reste de la population se trouvait à l’étroit, ainsi qu’il pourrait arriver dans une contrée souffrant d’un encombrement séculaire. Tant pis pour ceux qui arrivaient trop tard, les bonnes places étaient prises ! La terre n’est-elle pas au premier occupant ? Voilà, suivant M. George, l’origine du désordre, voilà l’abus d’où dérivent des iniquités sans nombre, voilà la source première et profonde de ce précoce paupérisme qui fait tache au milieu des splendeurs d’un nouvel Éden. Et qu’on ne prétende pas que nous sommes ici en présence d’un mal nécessaire, inhérent à la nature des choses. Il ne saurait admettre, quant à lui, qu’un Dieu tout sage et tout bon ait voulu, préparé de loin et fait entrer dans ses plans ce contraste entre l’opulence superbe des uns et la misère repoussante des autres. Tout cela est à ses yeux l’œuvre mal faite de l’homme, et il la faut corriger. Mais comment ?

Rien de plus simple, répond le jeune publiciste. Nous allons tout d’abord imposer la terre, toute la terre, jusqu’à concurrence de son revenu. Il n’en faut pas davantage pour porter le coup de mort