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mêmes doctrines et se bercent des mêmes espérances. M. Henry George est resté leur prophète, et c’est là un fait dont la portée n’échappera à personne.

Encore un coup, nous savons et nous n’avons garde d’oublier que la grande masse des ouvriers américains n’est pas gagnée au socialisme agraire. Mais la minorité qui est dans ces idées est un état-major et lorsque ; d’après les estimations de la North American Review, un organe digne de toute confiance, cet état-major s’élève, pour les rouges à quelque 50,000 hommes, et pour les bleus à environ la moitié de ce chiffre, il faut décidément en tenir compte.

Nous ne sommes pas en présence d’un facteur négligeable, mais d’une force. Qu’arriverait-il le jour où viendrait à se produire une crise industrielle intense, pendant laquelle l’ouvrage manquerait et le pain aussi ? Le désespoir et les privations ont toujours pour effet de porter ceux qui souffrent aux résolutions extrêmes. Dans ces momens-là, ce sont les violens qui entraînent les autres ; eux du moins ont un programme d’action, et ceux qui jusqu’alors s’étaient montrés indécis suivent leur impulsion. Les timides mêmes sont jetés dans le courant, parce qu’ils ne trouvent pas en eux la volonté nécessaire pour résister aux conseils qu’on leur donne, leur parussent-ils mauvais, et pour se dégager de la pression qu’on exerce sur eux. Dans l’hypothèse que nous venons d’émettre, si une crise devait éclater et arrêter un grand nombre de bras, il est assez naturel de penser que la doctrine de la « nationalisation » du sol, commune aux deux écoles qui aspirent à prendre la direction du mouvement ouvrier, servirait de centre de ralliement à la plupart des mécontens, qui viendraient alors se jeter dans des organisations toutes prêtes à les recevoir. Il n’y a pas lieu de se montrer pessimiste, mais on ne saurait disconvenir qu’il y ait, dans l’éventualité que nous signalons, une menace pour l’ordre de choses actuel.

Laissons maintenant l’Amérique et passons en Angleterre. Voici en quels termes la Quarterly Review rendait compte de l’action exercée dans les Iles-Britanniques par les idées écloses sur les bords de l’Océan-Pacifique : « Les éditeurs londoniens de M. George, écrivait la grave revue que nous citons, viennent de republier son livre (Progrès et Pauvreté) en un volume ultra-populaire. En ce moment-ci, il s’écoule par milliers d’exemplaires dans les ruelles et dans les quartiers les plus reculés des villes d’Angleterre, où on l’accueille comme le glorieux évangile de la justice. Cela seul suffirait à lui donner une importance considérable, mais nous n’avons pas encore tout dit. Ce ne sont pas seulement les pauvres et les violens qui ont été influencés par les doctrines de M. George. Elles ont reçu un accueil qui est encore plus étrange au sein de certains groupes appartenant aux classes réellement cultivées. Elles ont été l’objet