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les vit même soumettre aux assistans une série de résolutions condamnant le système de réforme sociale qui venait d’être exposé par le nouveau Gracchus, et qu’ils faisaient ratifier par la fraction de l’assemblée hostile à ses vues. L’orateur ne trouvait pas toujours des locaux pour tenir ses réunions, et, quand il ne réussissait pas à s’en assurer, il en était réduit à parler en plein air, ce qui du reste n’est pas en pays anglais une chose bien extraordinaire. Enfin, il y a socialiste et socialiste, et bien des hommes qui, d’une manière générale, sympathisaient avec lui, ne pouvaient cependant le suivre jusqu’au bout de ses déductions, les regardant ou comme trop radicales ou comme peu propres à conduire au résultat désiré. C’est ainsi que M. Wallace, dont nous parlions il y a un moment, s’est séparé de M. George, parce qu’il ne pouvait pour sa part conseiller la spoliation des propriétaires fonciers actuels, et a même déclaré qu’en rejetant toute combinaison tendant à indemniser les détenteurs du sol de la perte de leurs biens, l’auteur de Progrès et Pauvreté avait indiscutablement retardé, et peut-être pour plusieurs générations, l’avènement du socialisme agraire.

Nous aurions un certain intérêt à savoir quel est, à l’heure où nous écrivons, l’effectif de l’armée de mécontens qui, dans le royaume-uni, ont suivi jusqu’aux dernières conséquences de son système le novateur californien, mais il est assez malaisé d’arriver sur ce point à une appréciation précise. Nous ne sommes pas en présence d’un parti unique. Un grand nombre de personnes, sans aucun doute, appellent de leurs vœux des changemens dans la manière dont la propriété agraire est aujourd’hui répartie, mais outre qu’elles sont divisées entre elles quant à l’objet de leurs désirs, elles ne s’entendent pas non plus sur le choix des moyens. Le débat se complique encore par le fait de la diversité des intérêts régionaux et des antagonismes politiques qui s’y rattachent. Un socialiste irlandais, par exemple, nourrit des espérances concernant le degré d’autonomie qu’il conviendrait selon lui d’accorder à son pays, auxquelles des hommes qui lui tendraient sans arrière-pensée la main sur le terrain purement économique ne peuvent s’associer.

Mais tout au moins pouvons-nous affirmer ceci : c’est que l’influence de M. George a certainement contribué à accroître au milieu des trois royaumes réunis sous la couronne de la reine Victoria les partisans du socialisme agraire, et à fortifier dans leurs esprits cette opinion qu’il y a une immense révolution à accomplir, en dehors de laquelle tout progrès sérieux est impossible. Un membre du parlement, le professeur Thorold Rogers, écrivait il y a quelques mois dans un article publié par la Contemporary Review que les personnes qui, dans son pays, regardent la possession individuelle du