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rités, c’est-à-dire de la liberté, qui a son importance dans une question de représentation parlementaire, devient bien plus grave encore dans une affaire comme la loi de l’enseignement primaire.

Qu’est-ce en effet que cette loi dont la discussion se ravive sans cesse à chaque délibération nouvelle et semble n’être jamais épuisée ? C’est certainement la plus audacieuse mainmise de l’état sur la jeunesse du pays par un enseignement officiel, né d’une inspiration de parti ou de secte. Elle n’a rien de nouveau, si l’on veut, elle n’est que la suite ou le complément d’une loi qui a été votée, il y a quelques années, et qui prétendait organiser ce qu’on appelle l’instruction laïque avec des instituteurs laïques, c’est-à-dire à l’exclusion de tout ce qui est congréganiste. L’ancienne loi, cependant, laissait encore une certaine latitude ; elle mettait des degrés et des tempéramens dans l’application du principe. La loi nouvelle a précisément pour objet de ne plus admettre aucun tempérament, d’organiser l’enseignement obligatoire et laïque au nom de l’état, Sans restriction, sans concession, sans tenir compte ni des sentimens des familles, ni même de l’intervention des communes. L’enseignement primaire, avec son esprit nouveau, avec ses méthodes et son armée d’instituteurs laïques, c’est le grand instrument de règne pour l’état républicain ! M. le ministre de l’instruction publique croit avoir tout dit et pallié le despotisme qu’il organise avec ce simple mot de neutralité des écoles, qu’il répète sans cesse, qui joue un grand rôle dans la discussion. Mais cette neutralité, comment l’entend-il lui-même ? Il n’explique rien et ne pallie rien. Ce n’est pas sérieusement, sans doute, qu’il accuse de pauvres maîtres d’école portant l’habit religieux d’enseigner à leurs élèves que la vie est une expiation et que le travail est une peine ! La vérité est qu’on est pressé de chasser les congréganistes parce qu’ils sont congréganistes, qu’on tient à bannir toute influence religieuse des écoles, qu’on veut opposer le palais scolaire à l’église, l’instituteur au curé, les manuels civiques et la morale indépendante au simple catéchisme. Et c’est là ce qu’on appelle la neutralité ! C’est là la garantie offerte aux pères de famille à qui on inflige l’obligation d’envoyer leurs enfans à l’école primaire !

De quoi se plaint-on ? la loi ne laisse-t-elle pas toute liberté à l’enseignement privé si on ne veut pas de l’enseignement de l’état ? Oh ! sans doute, M. le ministre de l’instruction publique est un grand libéral ; il a sa manière d’entendre la liberté aussi bien que la neutralité. Que des républicains sérieux et éclairés comme M. Bardoux, M. Barbey, M. Emile Labiche présentent des amendemens qui n’ont, après tout, d’autre objet que d’adoucir une loi rigoureuse, de laisser tout au moins au gouvernement la faculté de s’inspirer des sentimens locaux, de consulter les municipalités, M. le ministre de l’instruction publique s’emporte ; il combat avec une sorte d’âpreté toutes ces propositions comme autant d’attentats contre l’enseignement laïque, contre l’état.