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pouvoirs dans ses votes, dans ses motions, dans ses ordres du jour, et on détourne les yeux. Il demande un emprunt sans garanties définies, sans justification de dépenses, sans aucune des formalités exigées par la loi, et on se hâte de porter l’emprunt aux chambres. Il veut avoir son indépendance financière, son indépendance administrative, il tient maintenant à être un petit parlement, à avoir ses séances publiques : on le laisse faire. Nos ministres trouvent, sans doute, que tout est bien. Singulier gouvernement, qui passe sa vie à froisser dans tous leurs sentimens ceux dont l’appui lui serait plus utile, et à s’abaisser devant ceux qui ne sont occupés qu’à l’embarrasser de leur alliance, à lui imposer leurs fanatismes, à le désarmer devant les agitations intérieures comme dans son rôle extérieur ! Et cependant, encore une fois, ce ne serait pas pour la France le moment de mettre toute sa politique dans ces misérables jeux des partis !

Qui peut dire par quelles phases auront encore à passer ces affaires d’Orient, que l’Europe s’épuise à débrouiller sans pouvoir y réussir, qui semblent s’être compliquées de nouveau au moment où l’on croyait en avoir fini pour quelque temps ? Tout récemment encore, cette crise des Balkans, qui dure depuis six mois déjà, paraissait toucher à un dénoûment. Entre les Serbes et les Bulgares, ces ennemis de la veille, la paix venait d’être signée et elle a été ratifiée depuis. Entre Bulgares et Turcs, il y avait un traité ou arrangement qui, sauf des modifications réclamées par certaines puissances jalouses de maintenir l’œuvre du congrès de Berlin, laissait au prince de Bulgarie le gouvernement de la Roumélie. La Grèce seule persistait dans ses revendications, dans ses velléités guerrières, et les Hellènes seuls ne pouvaient résister longtemps aux conseils, à la pression de l’Europe. Aujourd’hui tout est changé. La Grèce en est plus que jamais à ses revendications, à ses arméniens, et le prince Alexandre, à son tour, est rentré en scène comme pour raviver une crise à demi éteinte. Il n’accepte plus les modifications faites par la Russie à l’arrangement turco-bulgare. Il ne veut pas être un simple gouverneur de la Roumélie vaguement désigné sous le titre de prince de Bulgarie ou n’ayant ses pouvoirs que pour cinq ans. Il réclame une délégation nominative et viagère. Il proteste contre la diminution d’autorité et de dignité qu’on veut lui infliger. Bref, rien n’est fait, rien n’est aussi avancé qu’on le croyait, qu’on se plaisait à l’espérer. La résistance du prince Alexandre, si elle se prolongeait, si elle allait jusqu’à un refus de soumission, peut ranimer les ardeurs belliqueuses des Grecs, et, tant qu’on n’en a pas fini de ces difficultés, l’Europe en est toujours à vivre avec cette menace d’explosions nouvelles qui n’ont rien de rassurant pour la tranquillité universelle. C’est un perpétuel danger ; mais, si cette paix extérieure, qui dépend des incidens lointains, reste précaire, singulièrement exposée, il y a aujour-