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sent bien, est d’aborder cette grande et douloureuse question qui passionne et trouble l’opinion, qui divise les partis, le gouvernement lui-même. M. Gladstone, malgré toute sa hardiesse, malgré l’impétuosité avec laquelle il s’est chargé de résoudre cet étrange problème irlandais, est le premier maintenant à temporiser, à calculer tous ses mouvemens et même toutes ses paroles. En quoi consistent réellement ses projets ? Comment entend-il arriver à désintéresser les anciens propriétaires, les landlords, sans trop surcharger la dette de l’Angleterre, et à donner une sorte d’indépendance nationale à l’Irlande sans ébranler l’intégrité du royaume-uni ? C’est encore son secret. Il ajourne de semaine en semaine ; maintenant c’est le 8 avril qui reste fixé comme le grand jour des explications. Jusque-là il ne dit rien, il se bornait tout récemment à mettre l’opinion en garde contre les divulgations indiscrètes par lesquelles on cherchait à l’abuser. M. Gladstone, pour garder ce prudent silence, a en sans doute ses raisons, et la première, c’est qu’avant de s’engager dans la série d’épreuves qu’il aura à subir devant la chambre des communes, devant la chambre des lords, il s’est trouvé tout d’abord réduit à se demander s’il arriverait au jour décisif avec son ministère intact. C’est là, en effet, ce qui est venu tout compliquer presque à l’improviste. Le fait est qu’à la première communication de la réforme irlandaise au conseil, les dissentimens ont éclaté, qu’il y a eu, dès ce moment, une crise ministérielle et, chose curieuse, c’est parmi les radicaux du cabinet que les projets de M. Gladstone ont rencontré l’opposition la plus vive. M. Chamberlain, M. Trevelyan particulièrement, ont refusé de suivre le grand chef libéral dans sa politique irlandaise ; ils étaient surtout opposés, dit-on, aux mesures agraires imaginées pour désintéresser les landlords aux frais de l’Angleterre.

Un instant on a pu croire que M. Chamberlain, M. Trevelyan, ajourneraient tout au moins leur démission, ne fût-ce que pour ne pas embarrasser M. Gladstone par les explications prématurées que pourrait provoquer leur retraite. Ils n’ont pas voulu, à ce qu’il paraît, attendre plus longtemps, et le chef du cabinet vient de les remplacer par deux hommes mieux disposés à suivre sa politique : M. Stansfeld, un vieux radical connu autrefois pour ses relations avec Mazzini, et lord Dalhousie qui s’est fait une réputation d’ardent libéral, allant jusqu’au radicalisme dans les affaires d’Irlande. En apparence, rien n’est changé, si l’on veut, ce n’est qu’un incident à la veille des grandes batailles qui se préparent ; en réalité, la situation ne laisse pas d’être bizarre et peut d’un instant à l’autre devenir difficile. Il en résulte que M. Gladstone, après avoir été abandonné il y a quelque temps par les vieux whigs comme lord Hartington, M. Goschen, M. Forsler, lord Derby, perd maintenant l’appui des radicaux comme M. Chamberlain, M. Trevelyan, qui se séparent de lui. M. Gladstone reste toujours sans doute