Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 74.djvu/789

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la population restait sourde à leurs appels, elle ne se souciait pas de s’associer aux mouvemens insurrectionnels du dehors[1].

Garibaldi était de mauvaise humeur, il maugréait contre son parti. M. Rattazzi parlait avec désinvolture du « héros des deux mondes, » il prétendait que ses amis s’étaient donné le mot pour le paralyser dans l’exécution de ses projets, que Mazzini le malmenait dans ses manifestes, qu’il le traitait de naïf, d’aventurier, que l’argent et les armes lui manquaient. M. de Malaret était mieux renseigné. Il savait que Garibaldi négociait avec la compagnie Rubattino la cession de bateaux, qu’il persistait dans l’intention de tenter une attaque sur les frontières romaines, qu’il entrait dans sa tactique d’éviter toute rencontre, tout engagement avec les troupes italiennes, et qu’il avait prescrit à ses volontaires de pénétrer isolément sur le territoire pontifical pour se réunir au premier signal sur des points déterminés. Il savait aussi que son fils Menotti parcourait le Midi pour y recruter des partisans.

Ces renseignemens, malgré leur précision, n’avaient pas le don d’émouvoir le président du conseil. M. Rattazzi persistait à dire que si le solitaire de Caprera excitait encore quelque curiosité, il avait perdu toute influence. Il cherchait à nous donner le change en le présentant comme un personnage démodé, perdu dans la faveur populaire. Garibaldi n’était pas pour l’Italie, comme il le prétendait, un révolutionnaire, un chef de bandes : il était la patrie italienne.

Le gouvernement de l’empereur était aussi surpris qu’inquiet de la sécurité qu’affectait le président du conseil. Nos renseignemens ne s’accordaient pas avec son optimisme. Comment pouvait-il ignorer les dépôts d’armes, les bureaux d’enrôlemens que notre diplomatie lui signalait ! Son attitude donnait à réfléchir.


IV. — MAZZINI ET GARIBALDI.

La révolution italienne avait deux chefs : Garibaldi et Mazzini ; l’un personnifiait l’Italie bruyante, théâtrale ; le second, l’Italie souterraine, celle qu’on ne voit pas. Ils tenaient les ressorts qui pouvaient à tout instant surprendre l’Europe par un coup de théâtre. Unis dans la défense de Rome, en 1849, ils avaient depuis suivi des marches différentes, ils étaient devenus rivaux. Leurs rôles ne

  1. Dépêche du comte Armand, chargé d’affaires de France à Rome. — « Toutes les nouvelles s’accordent à considérer une agression comme imminente. Malgré cette unanimité, on ne constate ni à Rome ni dans les provinces le plus léger symptôme d’effervescence. Garibaldi n’a d’adhérens ni dans les basses classes, ni dans les classes moyennes. La balle d’Aspromonte l’a fait choir de son piédestal. Un émissaire de M. Rattazzi, arrivé à Rome pour observer l’esprit public, a été frappé de l’indifférence et du découragement des Romains. »