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il se passera de la France. » Il se refusait à croire à la sincérité de Napoléon III ; il n’admettait pas que, souverain français, il pût se prêter à l’unité de l’Italie. « Personne ne croira, écrivait-il le 15 décembre 1858, à moins d’avoir perdu le bon sens, que Louis-Napoléon veuille ou puisse créer avec l’unité italienne une puissance rivale de la France, puisse ou veuille, par une longue guerre et par la dissolution de l’Autriche, laisser le champ libre aux nationalités révolutionnaires. » Il ne se doutait pas de l’accord intervenu à Plombières au mois de septembre, il ne pressentait pas « le compliment du jour de l’art » que méditait l’empereur et qui devait nous coûter si cher. Il n’était pas seul à conspirer !

L’Angleterre avait, en revanche, toutes les prédilections de Mazzini. Il était certain de ses sympathies, il ne doutait pas qu’elle ne vint en aide à l’Italie le jour où la France, éconduite, cesserait d’être prépondérante dans la péninsule. Ses exigences dépassaient souvent la mesure ; dans son orgueil, il se considérait comme une puissance ; il avait la prétention de traiter d’égal à égal avec le roi, il lui demandait de changer ses ministres et de donner des gages écrits à la révolution.

Si Victor-Emmanuel se prêtait à d’obscurs pourparlers, c’était pour conjurer les mouvemens prématurés dans la péninsule et n’être pas entraîné, par des coups de tête, dans de périlleuses entreprises. Il était prudent, dissimulé ; il poursuivait son but avec l’égoïsme national qui est le devoir et le patriotisme des princes. Tenu, vis-à-vis de l’Europe, au respect du statu quo, il ne pouvait lui convenir de céder à des entraînemens révolutionnaires avant d’être prêt diplomatiquement et militairement. Il ne se souciait pas de jouer un jeu à tout perdre.

Mazzini avait promis à Victor-Emmanuel de subordonner son idéal politique à l’unité. Lorsqu’il s’aperçut que ses conseils restaient sans effet, il lui notifia qu’il reprendrait son programme : « La maison de Savoie, écrivait-il avec humeur, n’a jamais pu renoncer aux intrigues diplomatiques, signe manifeste du sentiment qu’elle a de sa faiblesse. Transformée en maison d’Italie, j’espérais qu’elle changerait sa tactique ; si elle n’en est pas capable, il est impossible que nous marchions d’accord ! »

Après cet incident, Mazzini revint à ses idées premières : fonder l’unité par la république ; il fit des avances à M. de Bismarck au nom du parti d’action pour renverser, au besoin, Victor-Emmanuel. Des révélations récentes le montrent en pourparlers avec le comte d’Usedom et des officiers prussiens[1].

  1. Mazzini : Scritti diti e inediti. — Politica segreta. — Massari : La vita e il regno di Vittorio Emanuele II. — De Mazade : le Comte de Cavour. — Bianchi : Storia documentale della diplomazia europea in Italia. Torino. — A. Boullier : Victor-Emmanuel et Mazzini.