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Ce n’est pas seulement au nord du Léberon actuel que l’on constate la marche envahissante de la mer molassique. On retrouve encore celle-ci au sud de cette terre, qui formait alors, de Cavaillon jusqu’au-delà de Corbières et au nord-est de Manosque, une île basse, effilée à l’ouest, élargie et échancrée le long de sa partie orientale. Sur le flanc méridional de cette région, la mer molassique s’étendait d’Orgon à Cucuron, plus loin encore de Pertuis à Rians et au-delà. Elle remplissait ainsi toute la vallée inférieure de la Durance. Après Rians, il existait même un fiord étroitement sinueux, qui semble avoir contourné et renfermé une sorte d’Ilot compris entre Saint-Maximin, Cottignac et Brignoles. — Pour ne pas rester incomplet, il nous faut maintenant retourner à l’ouest, en laissant au nord une grande île qui répondait à la petite chaîne des Alpines et occupait l’espace qui sépare Arles d’Orgon ; on constate alors qu’à partir de Salon et à l’aide d’un étroit goulet, la mer molassique, après s’être introduite par Lambesc et Rognes, épancha ses eaux sur le plateau actuel de la Trevarèse. Elle passa à travers le lac gypseux, dont les couches se relevèrent légèrement au nord comme au sud, tandis qu’elles s’affaissaient dans le milieu pour admettre les flots marins. Celles-ci, constituant un fiord contourné, pénétrèrent jusqu’au pied de Sainte-Victoire et de là vinrent occuper l’emplacement où s’élève la ville d’Aix, ainsi que la vallée moyenne du Lar en amont du défilé de Roquefavour. Il est probable que plusieurs affluens, les uns coulant de l’est, les autres de l’occident, charrièrent dans ce petit bassin, dont l’étendue entière n’excédait pas un myriamètre dans sa plus grande largeur, une foule de matériaux : argiles, cailloux, fragmens anguleux de roches très diverses. Auprès d’Aix même, il y eut, à un moment donné, un estuaire véritable, au fond vaseux, avec des coquilles d’eau saumâtre. Puis, des bancs d’huîtres s’établirent, tandis qu’ailleurs les eaux courantes, balayant la plage, entraînaient pêle-mêle dans les sables, changés plus tard en grès, des coquilles terrestres associées ainsi fortuitement à celles des eaux salées dans la même roche. On reste surpris, en réunissant tous ces traits, en observant la richesse de certaines assises en fossiles variés : huîtres, peignes, cônes, vestiges même de grands cétacés, qu’un golfe aussi étroit, une baie aussi peu étendue[1], comparable à ce que serait le Bosphore si, au lieu d’aboutir à la Mer-Noire, il se terminait en

  1. Il est vrai qu’un auteur déjà cité, M. Collot, a supposé l’existence d’une seule nappe marine couvrant l’espace qui s’étend du sud de la ville d’Aix au pied du Léberon. Cette nappe unique n’aurait laissé des sédimens que dans les dépressions du fond et n’aurait marqué son séjour sur les plateaux sous-marins que par des érosions et des trous de phollades ; mais c’est la une interprétation des faits moins vraisemblable, selon nous, que celle que nous adoptons ici.