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cet égard, la comparaison est parfaite entre les deux côtés de la Manche, comme entre les deux rivages de l’Atlantique.

A Westminster comme au Palais-Bourbon, il se rencontre bien quelques radicaux, dignes émules ou élèves des nôtres, qui se proposent d’ôter purement et simplement à l’église tous ses biens et revenus pour en doter les services publics, les écoles populaires notamment. De pareils projets ont peu de chance d’être adoptés du parlement ; ils sentent trop manifestement la spoliation et la violence. Les partisans du disestablishment consentent en général à laisser à l’église, non-seulement une rente viagère pour tous ses ministres, mais une sorte de dotation, de fonds de premier établissement qui lui permette de s’adapter à sa nouvelle situation en attendant qu’elle se crée des ressources nouvelles[1].

C’est ainsi qu’on a procédé, en 1869, avec l’église d’Irlande. Il y a là un précédent encore récent dont le parlement britannique, toujours respectueux des précédens, ne manquerait point de tenir grand compte. A l’église d’Irlande on a laissé ses temples et ses cimetières. A ses évêques et à ses ministres, on a garanti, pour leur vie durant, un traitement égal aux revenus dont ils jouissaient. En outre, et c’est là le trait capital de la manière dont nos voisins pratiquent la séparation, l’église d’Irlande a reçu une indemnité de 5 millions de livres, soit 125 millions de francs ; et il s’agit, qu’on le remarque bien, d’une église qui compte moins de six cent mille fidèles. Rien donc d’étonnant si elle a vaillamment supporté le nouveau régime. On a calculé qu’en suivant les mêmes règles pour l’Angleterre, l’église anglicane devrait, en cas de disestablishment, toucher une indemnité d’environ 70 millions de livres, soit 1 milliard 750 millions de francs, somme à elle seule suffisante pour lui assurer un revenu bien supérieur à tout notre budget des cultes. Et cela, chose à noter, pour une église qui n’a qu’une douzaine de millions d’adhérens, soit trois fois moins que l’église catholique en France.

Ce n’est point tout, les ressources que lui laisserait le disestablishment, l’église anglicane pourrait les augmenter indéfiniment grâce aux donations et aux legs qu’elle serait autorisée à recevoir. Cette faculté, l’église d’Irlande naguère « désétablie » la possède, et déjà elle en a fait un large usage : si la loi fixe une limite à ses acquisitions partielles, elle ne fixe pas de maximum à leur ensemble. Cette faculté d’acquérir et de posséder, personne en

  1. Nous pouvons, à cet égard, renvoyer le lecteur à une substantielle étude de M. L. Ayral : Annales de l’École libre des sciences politiques, Janvier 1880. Cf. the Quarterly Review, janvier 1880 et la Contemporary Review, décembre 1885.