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pour la plupart de ceux qui la réclament, qu’un moyen détourné d’enlever à l’église toute existence légale, de la priver de ses organes essentiels, de la frustrer de toutes ses ressources matérielles, de lui retrancher les alimens qui la sustentent, en un mot, de lui rendre la vie impossible[1].


V

La séparation, telle que l’entendent la plupart de ses promoteurs, ne serait pas une solution. Dans la situation des esprits et des partis, la dénonciation du concordat serait simplement une déclaration de guerre à l’église et à la foi chrétienne ; et cette guerre, le gouvernement qui l’engagera a toute chance d’y succomber.

Les radicaux ont bruyamment et parfois justement reproché aux opportunistes leur politique d’aventures au loin. Eux, ils sont pour les aventures au dedans. De toutes celles où ils s’apprêtent à précipiter la France, la séparation de l’église et de l’état serait peut-être la plus périlleuse. Les difficultés religieuses sont de leur nature inextricables ; une fois qu’on s’y est enfoncé, on ne sait plus comment en sortir : c’est une sorte d’enlisement. Que la république proclame la séparation, il y a bien à parier que la république y périra.

Comment s’y prendrait-on ? Le temps nous manque aujourd’hui pour l’étudier. L’on nous fournira, d’ici à peu d’années, l’occasion d’y revenir. La plupart de ceux qui réclament la dénonciation du concordat n’ont, du reste, pas de plan. Tout, pour eux, se réduit à biffer le budget des cultes. S’ils songent au lendemain, c’est uniquement pour empêcher l’église de se refaire des revenus. Leur politique ressemble aux procédés d’un détrousseur de grand chemin, qui, en dépouillant les voyageurs, les laisserait nus sur la route, avec injonction de ne plus porter que des haillons de mendians.

Entre ces plans de séparation ou mieux de spoliation, il en est un qui mérite un moment d’attention, non qu’il soit plus équitable que les autres, mais simplement parce qu’il est plus habile ou plus perfide. C’est celui de M. Yves Guyot, ce qu’on pourrait appeler la séparation par persuasion et par séduction. Une grande partie de la France tenant encore au service du culte, M. Yves Guyot reconnaît qu’il serait imprudent d’effectuer la séparation sur tout le territoire à la fois. Au lieu de l’appliquer d’un coup à nos 36,000 communes, il préfère la rendre facultative au profit des communes et

  1. Voyez : les Catholiques libéraux, l’Église et le Libéralisme de 1830 à nos jours, p. 99, 100, et introduction, p. XIII.