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leurs sociétés semblables à celle de Boston et comme elles fondées sur l’abstinence absolue des boissons alcooliques.

L’Angleterre s’empressa de suivre ce mouvement. En 1828, une première société fut créée à Glascow ; en 1844, la ligue de tempérance écossaise se fonda à Falkirk et se mit en devoir d’agiter l’opinion publique, grâce au zèle et à l’éloquence du révérend Mathew, qui a consacré son existence tout entière à cette régénération sociale. En 1878, vingt-quatre ligues s’étaient formées de l’autre côté du dehors et comptaient 4,500,000 adhérens. Leur nombre n’a fait que s’accroitre depuis cette époque. Les uns, les tempérans, se bornent à combattre l’abus des boissons fermentées ; les autres, les néphalistes pratiquent et professent l’abstinence absolue. Les uns et les autres prêchent souvent dans le désert. Leur propagande n’a pas produit de grands résultats sur le continent et n’y a jamais passionné l’opinion au même degré qu’en Angleterre et qu’en Amérique. Il s’est bien formé des sociétés de tempérance en Hollande, en Suède, en Suisse et en Allemagne, où l’on en comptait 1,250 en 1846. Il en existe encore dans ces contrées ; mais le mouvement s’est manifestement ralenti. La Russie n’y a jamais pris part et, en France, sauf quelques tentatives faites à Amiens et à Versailles, la seule société qui ait prospéré est celle qui fut fondée à Paris en 1872 et sur l’initiative de laquelle s’est réuni le congrès international de 1878[1]. C’est là que nous avons entendu M. de Colleville exposer au nom de cinq ligues anglaises qui s’y étaient fait représenter, les efforts faits de l’autre côté de la Manche et les bienfaits qu’on en avait retirés. Je ne puis entrer plus avant dans la question des sociétés de tempérance sans sortir de mon programme. Je me borne à en constater les résultats. Il est certain que l’œuvre des ligues néphaliennes n’a pas été stérile, mais il est incontestable également que le fléau qu’elles combattent sans relâche sévit toujours avec la même intensité. Voici dans quels termes le ministre des affaires étrangères à Washington, M. Everest, établissait, il y a quelques années, le bilan de l’alcoolisme aux États-Unis : « Depuis dix ans, disait-il, l’alcoolisme a coûté à l’Amérique une dépense directe de 3 milliards, et une dépense indirecte de 600 millions. Il y a détruit 300,000 individus, envoyé 100,000 enfans aux maisons des pauvres, consigné au moins 150,000 personnes dans les prisons et 10,000 dans les asiles d’aliénés. Il a poussé à la perpétration de 1,500 assassinats, causé 2,000 suicides, incendié ou détruit pour 50 millions de propriétés, fait 200,000 veuves et 1 million d’orphelins. » Ces chiffres ne sembleront pas exagérés si l’on songe

  1. Congrès international pour l’étude des questions relatives à l’alcoolisme, tenu à Paris du 13 au 16 août 1878.