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l’état se porterait acquéreur de tous les alcools. Il en ferait opérer l’analyse dans ses laboratoires et les revendrait ensuite aux débitons, ainsi qu’aux particuliers, à prix fixe et dans des bouteilles d’une forme particulière. Dans ce projet, l’état n’exerce qu’un monopole mitigé ; mais c’est encore un monopole, et le meilleur ne vaut rien. L’intervention de l’état dans les questions économiques est toujours fâcheuse. Lorsqu’un monopole est établi depuis longtemps, je comprends qu’on ne se décide pas à y renoncer, parce qu’on ne saurait où prendre les sommes qu’il rapporte ; mais il ne faut pas en créer de nouveaux. C’est bien assez qu’en France l’état soit déjà débitant de tabac et marchand d’allumettes, il ne faut pas qu’il se fasse cabaretier. Cette nouvelle mesure serait, d’ailleurs, tout à fait inopportune. Nos embarras financiers ne sont un secret pour personne, et si l’état prenait en main la vente de l’alcool, on serait en droit de dire qu’à bout de ressources il veut prélever un nouvel impôt dont les classes inférieures feront tous les frais. On ne manquerait pas d’ajouter, avec la même vraisemblance, que c’est un moyen de se procurer des emplois auquel le gouvernement a recours pour satisfaire l’avidité de ses créatures.

Il n’en est pas de même de l’élévation des droits. Elle est simple, d’une exécution facile, n’apporte aucun changement dans la perception, et, si on en appliquait le produit au dégrèvement des boissons fermentées dont il faut au contraire encourager la consommation, les classes laborieuses n’auraient qu’à s’en applaudir. Il n’est pas d’impôt plus légitime que celui qui pèse sur un vice ; il n’en est pas, en même temps, de plus salutaire. Si la consommation reste la même, c’est le fisc qui en bénéficie, et si elle diminue, c’est l’hygiène qui en profite.

C’est à l’aide de leurs surtaxes d’alcool que la plupart des communes de Bretagne font face à toutes leurs dépenses, et, comme tout impôt doit être voté par les chambres, il y a des époques où on ne peut pas ouvrir l’Officiel sans y trouver deux ou trois lois autorisant un certain nombre de communes à s’imposer de ces surtaxes. La plupart d’entre elles ont profité du bénéfice de la loi pour dépasser largement le chiffre normal de ces impositions.

La Société d’économie politique s’est occupée de ce sujet à sa réunion du 5 janvier 1885. Son président, M. Léon Say, avait proposé la question suivante : Y a-t-il lieu, pour parer aux dangers de l’alcoolisme, de restreindre la liberté du commerce des boissons ? La plupart des membres présens se montra contraire à l’élévation des droits ; mais ils se plaçaient plutôt sur le terrain de l’économie politique et de l’administration que sur celui de l’hygiène, et, dans l’opinion que j’expose, il n’est pas question de grever les boissons fermentées en général pour enrichir le trésor, il s’agit