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d’industrie en boivent tant qu’ils ont de l’argent. En Bretagne, les ouvriers habiles et bien rétribués ne travaillent que le : nombre de jours strictement nécessaire pour se procurer l’argent qu’il leur faut et s’enivrent le reste de la semaine. Plus le prix de la journée s’élève et plus le nombre de journées diminue.

L’argument tiré de l’augmentation de la fraude ne me touche pas davantage. Il est plutôt commercial qu’hygiénique, et, du reste, il n’est pas fondé. On l’a mis en avant en 1871 quand on tripla les droits sur l’alcools et l’événement n’a pas justifié ces craintes. L’assemblée nationale y mit bon ordre en imitant l’Angleterre et en donnant à l’élévation des tarifs l’appui d’une législation énergique[1]. Les amendes de 500 à 5,000 francs devinrent la règle commune pour les contraventions en matière de spiritueux, et les emprisonnemens de dix jours à six mois eurent bientôt découragé les fraudeurs ainsi que leurs complices.

Les administrateurs compétens en pareille matière sont d’avis que les tarifs actuels sont assez élevés pour donner à la fraude toute l’activité qu’elle peut avoir et qu’elle n’augmenterait pas d’une manière sensible quand on viendrait à doubler les droits. L’administration des tabacs en a, du reste, fait l’épreuve. La crainte de la fraude ne l’a pas empêchée d’imposer des droits six fois plus forts que la valeur de la matière première, et la fraude ne dépasse assurément pas le vingtième de la consommation.

Quant aux falsifications, elles n’ont pas plus d’importance au point de vue qui nous occupe. On ne peut pas, en effet, substituer à l’alcool une autre substance jouissant des mêmes propriétés, attendu qu’il est le seul principe capable de produire l’ivresse recherchée par le buveur, et, d’ailleurs, son prix est trop minime. Les falsifications signalées par Chevalier, il y a trente-six ans, ne sont plus aujourd’hui ni possibles, ni profitables. Personne n’a plus l’idée de mêler à l’eau-de-vie du poivre, du gingembre, du pyrèthre ou de la stramoine pour la rendre plus forte, pas plus que d’y ajouter de l’acide sulfurique pour lui donner un petit parfum d’éther. On se borne aujourd’hui à additionner les esprits mal rectifiés de substances susceptibles d’en masquer le mauvais goût ou de leur communiquer un bouquet artificiel. M. Girard a dressé, l’art dernier, la liste des substances employées pour transe former en cognac et en rhum les mauvais alcools du commerce. Certaines d’entre elles ne sont pas inoffensives, ainsi que l’ont démontré les expériences récentes de M. Poincaré ; mais ces additions n’ont aucune influence sur le rendement de l’impôt. Elles font accepter par les consommateurs des alcools de mauvais goût

  1. Lois du 28 février 1872 et du 21 juin 1873.