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pour cela des bâtisses, intéressantes peut-être, mais qui font obstacle au déblaiement. On atteint alors une couche antérieure au VIIIe siècle; les outils et les armes y sont de bronze ou de pierre dure, les parures d’or, les maisons de pierres non taillées, de boue et de briques séchées au soleil ; c’est l’âge héroïque avec son luxe et sa grossièreté. Pourtant il y a encore quelque chose au-dessous, qu’il ne faut pas laisser inexploré. Mais si je démolis les constructions de l’âge héroïque, quelle garantie les savans auront-ils de la sincérité de mon travail ? Je dois les conserver, au moins dans la mesure du possible et n’en détruire que ce qu’il faudra pour faire apparaître le plus bas des étages, celui qui repose sur le rocher.

Cette fois la fouille est terminée. Mais quelle responsabilité pèse désormais sur celui qui l’a faite! Auparavant, la terre de la colline contenait et sauvait de la destruction deux classes d’antiquités également précieuses, des objets mobiliers et des constructions ; pour avoir les premiers, il a sacrifié les secondes ; il a démoli les habitations des hommes et leurs remparts pour en retirer leurs poteries, leurs armes et leurs bijoux. Ces objets sont réunis en collections et savamment distribués dans les vitrines d’un musée; mais le voyageur qui vient plus tard visiter ces ruines, qu’il croit rendues à la lumière, n’y trouve plus que des excavations, avec quelques petits murs que le temps aura bientôt effacés. Il se retire, disant avec Lucain : etiam periere ruinœ.

Il est vrai, diront nos érudits ; mais, grâce à ces sacrifices inévitables, nous possédons d’admirables collections, qui vont grossissant de jour en jour et par lesquelles nous pouvons résoudre des problèmes que l’histoire n’avait pas même entrevus. En outre, l’histoire est souvent hypothétique ou mensongère ; elle ne représente que l’opinion des historiens ; souvent les faits qu’elle raconte sont controuvés. Quand nous voyons avec quelle peine nous parvenons à saisir la vérité dans les faits qui nous sont contemporains, quelle défiance ne devons-nous pas avoir devant ceux que les historiens d’autrefois nous racontent? Au contraire, l’archéologie, appuyée sur les collections, donne une suite de faits réels qui finissent par former une chaîne et un réseau et se substituent aux fictions de l’histoire. Un jour viendra où les musées seront nos véritables bibliothèques historiques.

Cet argument est vrai et autorise dans une certaine mesure le sacrifice de petites constructions gênantes, sans lequel on ne pourrait atteindre aux restes les plus profonds et les plus curieux de l’ancienne humanité. Cette recherche est nécessaire à la science; car, au-delà de ces couches profondes, il n’y a plus que les dépôts géologiques, l’homme des cavernes, l’homme quaternaire et, s’il