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convenablement, procédait comme ceux des pays plus chauds et abandonnait son bétail l’hiver, sur la neige, à la grâce de Dieu ; l’instinct de conservation avait appris aux bœufs à suivre les chevaux, plus habiles à briser la surface de neige et à atteindre le fourrage sec, que seuls ils ne savaient mettre à découvert : ceux qui échappaient aux longues privations transmettaient à leur descendance des qualités de résistance aussi nécessaires au bétail qu’à l’homme dans ces régions, mais l’augmentation du troupeau en était assez ralentie et l’est encore assez pour que nous n’ayons pas à redouter là un concurrent.

Nous n’en dirons pas autant du Texas. Nous avons vu que c’est de tous les états de la république américaine le plus vaste. Son sol est homogène, composé de prairies entrecoupées d’arbres clairsemés qui le rendent favorable à l’élevage sans exiger de défrichement. Il a, de plus, l’avantage d’être semé de creeks, ou petits cours d’eau, en plus grand nombre que les régions similaires. Quant à son climat, il est plus doux que celui des régions voisines, mexicaines ou saxonnes. Aussi, dès l’époque coloniale, l’élevage était-il l’occupation favorite du vieil habitant du Texas. Il avait procédé, dans ce pays, presque absolument semblable à la pampa, comme le fit le gaucho dans les plaines du sud, vivant comme lui de peu, exploitant ses troupeaux pour leur dépouille, négligeant l’élève du mouton pour celle du cheval et du bœuf. Là on retrouve, avec la même langue, chez des peuples de même origine, les mêmes mœurs, le cheval andalous, dont la taille a diminué, comme cela s’est produit dans toutes les grandes plaines. L’Indien, descendant des Toltèques et des Aztèques, qui sert avec l’Espagnol de substratum à la population créole, a des qualités de race que n’avait pas l’indigène des pampas ; aussi l’hybride formé du mélange de ces deux races diffère-t-il du gaucho du sud. Il a de plus vécu toujours dans une plus grande indépendance de la métropole et n’a guère senti le joug de l’Espagne ; il l’a secoué sans efforts, en 1810, pour entrer dans une ère de guerres civiles qui devaient aboutir à l’annexion de 1845 par application violente de la doctrine de Monroe au bénéfice de la république qui l’avait proclamée. À cette époque déjà lointaine, le Texas vivait d’une vie toute primitive et demi-barbare ; l’élevage des bêtes à cornes y existait seul, le mouton y était négligé. L’annexion n’eut pas d’influence immédiate sur ce pays ; il y a quinze ans encore, sa physionomie ne s’était pas modifiée. Depuis, une double révolution s’est accomplie ; le mouton, prenant enfin possession des pâturages dès longtemps préparés, commença à se développer, en même temps que les débouchés s’ouvraient pour le gros bétail, dans les états du Nord, où la population agricole