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adapter ce qu’il avait appris à connaître sur des terres lointaines aux convictions ombrageuses de son peuple ; il fit pénétrer en Amérique, sous un déguisement nécessaire, le goût et l’imagination du vieux monde. Pour pétrir ce talent exquis, il fallut des conditions particulières d’hérédité, d’éducation, de carrière ; il fallut que le rejeton prédestiné d’une lignée de pèlerins, — cette aristocratie intellectuelle et morale de l’émigration qui s’aventura, non pas sur le chemin de la richesse, mais sur le chemin du ciel en invoquant le Seigneur ; — il fallut que le fils d’une famille distinguée, sous tous les rapports, naquit doué d’aptitudes pour les lettres qui équivalaient à un sixième sens, qu’il fût élevé dans une ville typique de l’Est, Portland, ouverte aux influences d’une société polie, que le spectacle de la mer frappât ses yeux avant toute chose, qu’il devint professeur d’académie, qu’on l’envoyât en Europe compléter ses études, puisqu’il s’enfermât une fois pour toutes au milieu de ses livres chéris, dans l’enceinte favorable de Harvard College.

Figurez-vous, dit M. Stedman, un enfant impressionnable qui n’aurait connu, on fait l’église, qu’un meeting house en bois, sur le modèle élémentaire des congréganistes de son pays, et qui se trouverait transporté soudain sous les voûtes d’une cathédrale gothique retentissante des accens de l’orgue. — Ce fut là, en effet, l’impression de Longfellow lorsqu’il visita l’Allemagne. Il se pénétra de ses souvenirs romantiques, il cueillit ensuite des fleurs de poésie en France, en Italie, en Espagne et les rapporta toutes fraîches à Harvard, où ses travaux mêmes de professeur ne firent que l’affermir dans la connaissance des langues étrangères auxquelles il est redevable d’une partie de son mérite.

En 1831, il publia sa grave et sonore traduction de Coplas de Manrique, puis on n’eut de lui que des œuvres en prose, des romans où se trouve la manière tantôt de Heine, tantôt de Jean-Paul. Son recueil de poésies intitulé : les Voix de la nuit, porte encore des traces d’imitation allemande. Poë calomnie cependant Longfellow lorsqu’il parle de plagiat ; l’originalité peut être de plus d’une sorte ; Corneille et Racine, qui empruntèrent à l’Espagne et à la Grèce antique, n’ont-ils pas donné à ces emprunts tout le caractère de l’inspiration ? Sans doute Longfellow butine partout comme une abeille ; il compte parmi ses lecteurs des naïfs qui s’intéressent au sujet, et dans le développement de ce sujet il déploie souvent du charme et du goût plutôt qu’une très grande puissance. Que trouvera-t-on cependant de plus élevé que le Psaume de la vie et qu’Excelsior, qui, tout en ravissant les grands esprits, sont compris aussi des humbles ? Le Sable du désert, le Cimetière juif, l’Arsenal, Prométhée, l’Échelle de saint Augustin, ne nous ; semblent pas spécialement dédiés aux âmes féminines, auxquelles