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on lui a reproché de faire volontiers appel. Il est vrai que Longfellow est le poète des affections tendres et tout l’opposé d’un doctrinaire ; on lui demanderait en vain la passion patriotique de Whittier ; les poèmes que lui fournit l’esclavage sont émouvans sans violence ; il nous attendrit sur un mal odieux qui existe près de lui, et en même temps, comme dans la Quarteronne, la fille esclave du planteur, il évoque magiquement les rivages tropicaux. Ceux qui lui ont refusé la vigueur oublient sans doute sa ballade héroïque du Squelette en armure ; il est vrai qu’aucun élément tragique ne le préoccupa longtemps. On devine, en lisant Longfellow, qu’il fut heureux, que pendant une longue vie ni la santé, ni l’amitié, ni l’aisance, ni la renommée ne lui firent défaut, que l’amour ne se révéla pas à lui par les fécondes angoisses du désir inassouvi. Il posséda la femme qu’il aimait ; la douleur resta pour lui une forme pathétique de la beauté ; il n’envisagea la mort elle-même que comme une transition lumineuse.

Longfellow a partagé avec Tennyson le bonheur de voir ses récits en vers atteindre au succès étendu des romans de premier ordre ; il est, à l’égal de Victor Hugo, le poète de l’enfance. Son Heure des enfans est le plus délicieux peut-être de ces chants du coin du feu dans lesquels il excellait. La fleur des idylles américaines, Évangéline, a été acclamée par la critique universelle. Nous ne suivrons pas M. Stedman dans une discussion quelque peu pédantesque sur l’opportunité de l’emploi des hexamètres. C’est la forme de Hermann et Dorothée ; elle est favorable, apparemment, aux histoires d’amour champêtre ; enregistrons seulement, avec un juge sévère qui nous paraît peu favorable aux qualités dont dépend la popularité, que l’Amérique tout entière aima Longfellow pour l’amour d’Évangéline, et que l’Europe s’associa bientôt à ce sentiment. Rien ne manque à l’attrait de cette œuvre devenue classique. L’auteur a choisi une époque assez lointaine pour être vraiment poétique, mais assez proche pour avoir un caractère de parfaite réalité, toute pénétrée, en outre, au début, de couleur provinciale. Grâce à la variété de l’action, il fait passer le lecteur par les aspects changeans de son pays ; des épisodes dramatiques succèdent à la pure pastorale, et, au milieu de la foule, où ressortent très pittoresques des figures de toute sorte, fermiers, prêtres, soldats, trappeurs, émigrans, on ne quitte pas des yeux la touchante fiancée, cherchant celui qu’elle aime, durant de longues années, à travers un monde inconnu.

Publier une autre idylle après Évangéline était chose périlleuse. Pourtant Longfellow réussit à ne pas déchoir avec Hiawatha, le premier emprunt vraiment heureux que la poésie eût fait aux traditions indiennes. Hiawatha ouvrit un champ fertile aux futures explorations