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est essentiellement moderne, il a des opinions ardentes et l’éloquence qu’il faut pour les soutenir. C’est un réformateur comme Whittier, son compatriote ; comme lui, il est destiné à faire avancer une grande cause ; que si l’on peut lui reprocher çà et là quelques fautes de goût, quelques excentricités du style, il nous répondra : « L’œuvre doit surpasser les matériaux ; » et son œuvre, en effet, est grande, toute considération d’esthétique à part. Les événemens se chargèrent de lui indiquer sa voie sans qu’il la cherchât, confirmant ainsi sa théorie de la spontanéité.

Il n’était encore que le chantre des affections (the Changeling, She came and went), et celui de la nature (the Indian summer Rêverie, the Dandelion), on louait surtout ses poétiques légendes, celle de Bretagne et la Vision de sir Launfal, quand à trente ans il donna tout à coup la mesure d’une originalité dans le talent qui n’avait pas eu jusque-là l’occasion de s’affirmer. Un événement injuste en lui-même, mais qui eut une influence considérable sur la civilisation en général, l’invasion du Mexique venait de se produire. Lowell se fit vaillamment l’interprète des opinions d’une minorité sincère et intelligente au sujet de cette guerre. Les Biglow Papers parurent, de 1846 à 1848, et obtinrent un succès prodigieux ; l’humour, qui est purement anglo-saxon, s'y appuie par une combinaison assez rare sur l’esprit, une qualité de tous les temps et de tous les pays ; malheureusement les vers en dialecte sont difficilement intelligibles ailleurs qu’en Amérique : le vieil anglais, importé par les premiers colons, s’y est conservé ; nombre de mots qu’emploient familièrement les habitans de certaines parties du Massachusetts sont notés dans les vocabulaires anglais comme archaïques ; mais ils étaient en usage lors de la traduction de la Bible par le roi Jacques.

Cependant ces provincialism.es tendent à s’effacer peu à peu ; on les retrouvera tous dans les épîtres à demi sérieuses, à demi burlesques du brave Hosea Biglow, éditées avec un tel respect du yankeeisme que, pour l’orthographe même, le mode ordinaire de la prononciation a été scrupuleusement conservé. Comme le fait remarquer d’ailleurs M. Stedman, ce dialecte n’a rien de commun avec le « jargon de clown » (elownish gabble) d’un certain nombre d’humoristes ; c’est la langue des vieux puritains maniée par une plume savante.

Lowell immortalise, dans ce poème burlesque, à demi satire, idylle à demi, infiniment supérieur à l’Hudibras de Butler, auquel on l’a comparé, le type du citoyen rustique de la Nouvelle-Angleterre, tel qu’il est resté depuis le jour de l’année 1620 où une petite troupe d’exilés volontaires vint chercher sur un rivage aride le droit de prier à sa guise et de fonder une démocratie. Les puritains quittaient la patrie et toutes les facilités de l’existence pour cet idéal