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conséquences. Lorsque notre chargé d’affaires félicita le président du conseil de son énergie, du service qu’il avait rendu à son pays et à l’Europe, il fut répondit : « On ne m’accusera plus désormais d’avoir peur et de manquer à mes promesses. » C’était un trait décoché à M. de Malaret[1], qui souvent avait froissé son amour-propre en le rappelant de trop haut à l’exécution de ses devoirs internationaux.

L’énergie du président du conseil n’eut pas de lendemain. Garibaldi, à peine interné à Alexandrie, était élargi et conduit à Caprera. On reculait devant une mise en jugement, on transigeait avec les passions nationales, et surtout avec les exigences de l’extrême gauche. M. Rattazzi était un avocat habile à plaider les circonstances atténuantes ; il colora sa faiblesse en prétendant qu’il suffisait de priver le parti d’action de son chef pour arrêter le mouvement ; il nous parlait des mesures prises pour empêcher toute tentative d’évasion ; il nous disait que l’élargissement n’avait en lieu que sous garanties, que Garibaldi, pour obtenir la faveur de rentrer dans son île, s’était engagé à n’en plus sortir. Mais la Riforma publiait aussitôt une lettre du général affirmant que ses projets n’étaient pas modifiés, qu’il n’avait pris aucun engagement et qu’il s’était réservé toute sa liberté d’action. Le captif de Caprera montrait en même temps combien la surveillance de ses geôliers était accommodante, en inondant l’Italie de ses proclamations ; il s’adressait au peuple, à l’armée, et les poussait à la révolte. « Les Romains, disait-il, ont le droit des esclaves de s’insurger contre leurs tyrans les prêtres, et les Italiens ont le droit de les aider. En avant donc, Romains et Italiens ! le monde vous regarde. » Son cri de guerre était : « Au Golgotha ou à Rome ! »

Ses fils et ses officiers étaient libres, les bandes étaient organisées, les volontaires accouraient de tous côtés ; des comités de secours et d’armement fonctionnaient publiquement sous les yeux des autorités ; ce n’étaient pas les demi-mesures d’un gouvernement aux abois qui pouvaient empêcher la révolution d’envahir le territoire romain. Garibaldi était toujours blâmé, souvent arrêté, mais on tirait avantage de toutes ses entreprises : son programme était celui de la nation, il n’y avait de divergence entre lui et le gouvernement que sur les questions de moyens et d’opportunité. Ses plus folles équipées étaient toujours le présage d’un succès ; il était, disait-on, dans toutes les bonnes fortunes de l’Italie.

M. Rattazzi passait alternativement de la crainte à la confiance ; l’inquiétude le reprenait envoyant, l’agitation se développer ; il

  1. M. de Malaret avait quitté Florence le 9 août après avoir accrédité, comme chargé d’affaires auprès du gouvernement italien, le baron de La Villetreux, le premier secrétaire de la légation.