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pressentait le moment où il ne serait plus maître de la situation. Il cherchait dans ses entretiens avec M. de La Villetreux à établir la loyauté et la fermeté de ses mesures et à nous prouver que, s’il ne réussissait pas à entourer, comme il l’eût voulu, les frontières d’un cercle infranchissable, ce n’était ni faute de précautions, ni faute de bonne volonté. Il nous communiquait des lettres du général Revel, le ministre de la guerre, qui expliquaient comment quelques bandes avaient pu traverser les lignes d’observation sans être inquiétées et de quelle façon des fusils se trouvaient entre leurs mains, « Cent mille hommes, s’écriait M. Rattazzi, ne suffiraient pas pour garder strictement une ligne aussi étendue. » Ce que le ministre ne disait pas, c’est qu’il remplissait son devoir sans ardeur et partageait les passions de ceux qu’il devait contenir. Donner Rome à l’Italie, garder le pouvoir, et ne pas manquer ouvertement à ses engagemens, tel était le problème complexe qu’il aurait voulu résoudre à sa gloire et à nos dépens.


III. — L’INVASION DES ÉTATS DU PAPE.

La France n’était représentée à Rome et à Florence que par des chargés d’affaires : le comte Armand et le baron de La Villetreux. Nos intérêts étaient en bonnes mains ; au sentiment du devoir ces deux agens ajoutaient le tact et l’expérience que donne une carrière laborieusement remplie. Le comte Armand soutenait par sa parole la cour de Rome, souvent prête à céder au découragement ; pénétré de l’intérêt français, il devançait ses instructions en affirmant aux heures où le doute était autorisé que le gouvernement de l’empereur ne permettrait pas la violation de la convention de septembre, que son armée protégerait le territoire du saint-siège contre la révolution.

La tâche du baron de La Villetreux était plus ardue. Il se trouvait dans un milieu fiévreux, presque hostile, aux prises avec les aspirations de tout un peuple, forcé de rappeler chaque jour un gouvernement faible, perplexe au respect de ses devoirs. Il n’était pas aisé d’être énergique, de se faire écouter sans froisser de légitimes susceptibilités. Il fallait les formes courtoises de M. de La Villetreux, son sang-froid et l’aménité de son caractère, pour y réussir.

L’empereur avait à son service une diplomatie vigilante, éclairée, mais il se méfiait d’elle ; il savait que, fidèle à nos traditions, elle n’approuvait pas les transformations qu’il poursuivait. Il ne portait aucune atteinte à ses droits, il avait le respect des situations acquises, mais il ne l’initiait pas à sa politique. Que de forces dont il n’a pas su tirer parti ! Que d’ardeurs patriotiques il a méconnues !