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Sans doute M. Rattazzi faisait son devoir, mais il ne faisait pas tout son devoir. Il avait été sincère au début ; dans toutes ses dépêches il avait déclaré qu’il ferait exécuter la convention, même par la force ; il avait procédé à l’arrestation de Garibaldi. Mais peu à peu il s’était laissé circonvenir, il était devenu malgré lui le complaisant et presque le complice de la révolution. Une situation aussi tendue ne pouvait se prolonger. « Je voudrais pouvoir espérer, télégraphiait le cardinal Antonelli au nonce du pape à Paris, que les faits que je vous prie de signaler au gouvernement impérial provoqueront, de sa part, quelque acte énergique qui mettrait un terme à de pareilles iniquités ; mais je n’y compte pas. » Le cardinal Antonelli se trompait : l’empereur était arrivé à la dernière limite de la longanimité ; sa volonté défaillante allait se réveiller et, en s’affirmant, renverser tous les calculs du ministre italien. M. Rattazzi devait se briser contre l’obstacle qu’il redoutait le moins : l’énergie de Napoléon III. A la date du 11 octobre, l’empereur télégraphiait placidement à M. de Moustier, comme s’il s’agissait d’une affaire de service : « D’après les nouvelles que vous m’avez envoyées, je crois qu’il faut écrire à Rattazzi ; il paraît ne plus pouvoir empêcher l’invasion du territoire romain, ni seul exécuter la convention. Dans ce cas, nous serons forcés d’aviser. » L’empereur, sans prévenir son ministre, télégraphiait en même temps au roi pour lui faire connaître sa détermination.

M. Nigra, toujours si bien renseigné, était pris cette fois au dépourvu. La cour était à Biarritz ; les influences et les moyens d’information dont il disposait à Paris lui faisaient défaut, au moment le plus critique.

L’émoi à Florence fut indescriptible. Les conseils se succédèrent. On conférait avec les sénateurs et les députés. Fallait-il passer outre et se prévaloir du fait accompli, ou bien fallait-il se résigner et subir l’intervention ? On décréta des mesures sévères propres à nous calmer ; on ferma les bureaux de secours, on opéra des saisies d’armes et de munitions, on procéda à de nombreuses arrestations. Il était trop tard. Quelques semaines plus tôt, ces actes d’énergie eussent arrêté le torrent révolutionnaire qui menaçait d’envahir les états romains, et rendu la confiance au gouvernement de l’empereur.

M. Rattazzi tenta une suprême démarche pour conjurer le retour d’une armée française en Italie. Il chargea M. Nigra de plaider auprès du cabinet des Tuileries les circonstances atténuantes et de l’amener, s’il ne parvenait pas à le détourner d’une intervention, du moins à un compromis, qui permettrait à l’Italie d’occuper simultanément avec la France le territoire pontifical. L’envoyé du roi ne négligea aucun argument pour nous tranquilliser et nous convaincre ;