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il y mit toute sa souplesse, toute la dextérité de son esprit. « Son amitié pour la France, disait-il, en s’adressant à notre ministre des affaires étrangères, ne lui permettait d’entrevoir qu’avec terreur l’éventualité d’une rupture entre les deux pays. » Sa lettre était émue, elle était l’expression de ses sentimens. Comment M. Nigra n’eût-il pas été ému en voyant l’alliance de 1859, dont il affirmait, en toute rencontre, l’indissoluble maintien, méconnue, compromise ? Pouvait-il oublier, sous l’imminence d’un conflit, tous les sacrifices que l’empereur, sur ses instances, avait si souvent faits à l’Italie et les attentions dont il le comblait personnellement ? De tous les diplomates étrangers à Paris il était le plus choyé, le mieux informé ; on n’avait pas de secrets pour lui, il représentait un pays dont les destinées nous passionnaient depuis cinquante ans et auquel la France garde encore aujourd’hui au fond du cœur, malgré d’amers désenchantemens, le souvenir attendri de ses plus chères amours. Il faut plaindre les diplomates qui, de bonne foi, entretiennent de décevantes illusions, et dont les efforts sont trahis par les fautes des gouvernemens et la marche implacable des événemens.

« Je viens de recevoir dans la nuit, écrivait M. Nigra au marquis de Moustier, deux télégrammes de Florence que je vous prie de faire parvenir à l’empereur. Vous voudrez bien considérer cette communication, non pas comme un acte, mais comme une simple conversation. Le premier télégramme répond à votre note d’hier. M. Rattazzi dit que ce ne sont pas des bandes garibaldiennes, mais des volontaires isolés, qui pénètrent dans les états pontificaux. Le mouvement des volontaires est si grand, la frontière est tellement étendue qu’il serait impossible à une armée de 200,000 hommes d’en barrer entièrement le passage. Si la population des états romains reste tranquille, cela est dû uniquement à l’attitude du gouvernement du roi, qui s’oppose à toute invasion. Le gouvernement du roi, malgré toute sa bonne volonté, ne peut en faire davantage. La situation en Italie est tellement tendue qu’elle ne saurait longtemps durer ainsi. Nous faisons tous les efforts, mais nos troupes sont exténuées, épuisées de fatigues. L’administration en souffre gravement, l’autorité du gouvernement perd son prestige. Il faut y songer et y pourvoir le plus tôt possible. L’empereur a exprimé le désir que l’on ne fit rien sans que les deux gouvernemens se soient mis en communication et aient tâché de se mettre d’accord. M. Rattazzi pense que le moment est venu pour un tel échange d’idées. Il croit que les choses sont arrivées à un point d’où il est difficile de sortir sans une occupation par les troupes italiennes du territoire pontifical ; il attache un grand prix à connaître les appréciations de l’empereur. Le président du conseil me charge en tout cas de vous faire comprendre tous les inconvéniens, tous les