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Hegel n’a-t-il pas voulu nous faire croire que son système ne différait pas au fond de la théologie chrétienne ? S’il fallait à toute force trouver la preuve d’une influence plus ou moins directe de la religion sur la philosophie grecque, nous la chercherions, non dans les hypothèses cosmogoniques de celle-ci, mais dans certains dogmes relatifs à la destinée de l’âme. La métempsycose de Pythagore et de Platon pourrait bien être d’importation orientale. Si peu que l’on sache des anciens mystères, j’ai peine à croire que la doctrine des expiations ou des récompenses futures n’y ait pas été nettement enseignée. La théorie d’une chute originelle, commune à Empédocle et à Platon, a tout l’air aussi d’être un emprunt à des croyances très anciennes, antérieures en tout cas au premier éveil de la réflexion philosophique. Une assez bonne méthode de discernement, en ces délicates matières, serait peut-être de rapporter à la religion tout ce que Platon expose sous forme de mythe. Très attentif à ne laisser perdre aucun rayon de la sagesse du passé et moins systématique qu’Aristote, le disciple de Socrate est, à notre sens, le meilleur historien de toutes ces origines. Ce qui est certain, c’est que la philosophie fut à la fois un produit très spontané du génie grec et une efflorescence de la mythologie populaire et poétique. Dire précisément ce qui fut son œuvre propre, ce qu’elle recueillit pour le faire sien dans la tradition des vieux âges, semble impossible à qui veut s’interdire les conjectures et ne s’en rapporter qu’aux informations dont nous disposons aujourd’hui.


I

Si la célèbre distinction de Saint-Simon entre les périodes organisatrices et les périodes critiques se vérifie quelque part, c’est bien dans l’histoire de la philosophie grecque. Ils sont des organisateurs, tous ces sages de l’Ionie et de la Grande-Grèce qui placent dans un principe, matériel ou intelligible, la substance universelle et l’explication de tout ce qui est Les sophistes inaugurent une époque critique où les vieux dogmatismes se dissolvent ; puis nouvelle organisation de la pensée, par les doctrines de Socrate, de Platon, d’Aristote, d’Épicure et de Zénon. Les sceptiques et les probabilistes reprennent avec plus de sincérité et de profondeur l’œuvre des sophistes ; les deux grands traités de Sextus Empiricus, antérieurs d’un demi-siècle environ aux premiers enseignemens de Plotin, semblent marquer à la fois le triomphe de la critique pyrrhonienne et la nécessité d’un dogmatisme suprême, qui, celui-là, se ménage un sûr abri dans la sphère où seule conduit l’extase. La pensée philosophique en Grèce va ainsi de l’affirmation au doute,