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d’économie politique ? Il faut avoir vu cela, non pas à Paris et dans quelques villes privilégiées où les maîtres sont relativement instruits et l’intelligence des enfans plus ouverte, mais à la campagne, dans une véritable école de village. Justement, j’eus l’occasion l’an dernier d’en visiter plusieurs dans un département du Midi : il ne s’y trouvait pas un élève en état de répondre un mot sur la guerre de Crimée, ni d’indiquer même approximativement la position de Sébastopol. Je pensais être plus heureux sur la guerre de 1870 : c’est à peine si je pus obtenir quelques pauvres réponses ; plusieurs ne savaient même pas que Metz avait cessé d’appartenir à la France. Voilà pour l’histoire et la géographie : je passe le reste. — Et voilà bien, prise sur le fait, jugée par ses produits, la nouvelle pédagogie : stérile autant que prétentieuse, pompeuse, mais superficielle, toute en façade et en décors, touchant à tout, n’approfondissant rien, forçant la nature et n’aboutissant, en fin de compte et malgré toute son ambition, qu’à l’impuissance dans le pédantisme.

Encore si le mal se bornait là, si les programmes n’avaient été que trop surchargés ! Mais en même temps qu’on les bourrait de tant de matières indigestes, on y pratiquait de la même main un vide énorme : on en chassait l’enseignement religieux pour y substituer l’instruction morale et civique. L’idée n’est pas nouvelle ; elle appartient en propre à la gironde, et c’est à l’un des siens qu’en revient le triste honneur. Dans les projets d’éducation de Mirabeau et de Talleyrand, la religion formait encore le fond, la substance de l’éducation. Dans celui de Condorcet il n’en est plus vestige. Elle est reléguée dans ses temples et remplacée par les élémens de la morale et par des instructions sur les principes du droit naturel, sur la constitution et sur les lois anciennes et nouvelles. — « Quelle morale ? Il fallait le dire, » s’écriait déjà Michelet, il y a quelque trente ans, dans un beau mouvement d’éloquence à propos de ce projet. « Quelle morale ? pourrions-nous ajouter après lui. Vous ne le dites pas, vous n’osez pas le dire. Et pour cause. » C’est qu’en fait de morale et d’éducation, la neutralité n’a jamais été qu’une fiction et qu’une école laïque est nécessairement une école irréligieuse. Qu’on prenne tous les décrets du monde, on ne change pas la nature des choses ; il n’y a pas une morale ; il en existe autant que de systèmes philosophiques et, partant, de façons de concevoir l’idée de Dieu. Or, cette idée, vous aurez beau la chasser de l’enseignement, elle y reviendra fatalement ; vous aurez beau la consigner à la porte de l’école, elle y rentrera par la fenêtre avec le premier rayon de soleil qui tombera sur elle ou le premier coup de vent qui l’ébranlera. L’enfant est curieux ; il voudra savoir. « Monsieur, demandera-t-il à son maître, c’est le bon Dieu,