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toujours en danger d’être supprimée, et nous pouvons affirmer qu’en général l’avènement graduel des masses au pouvoir est une menace pour toute législation fondée sur des opinions scientifiques et qui demande un effort d’esprit pour la comprendre, une certaine abnégation pour s’y soumettre. » Tout cela peut être vrai ; mais quand on maudit le progrès, on est tenu d’avoir du goût pour les gouvernemens improgressifs.

M. Maine reproche aux démocraties la fureur qu’elles ont de tout simplifier, en se débarrassant de ce qui les gêne et de tout contrôle incommode : c’est pourquoi, nous dit-il, elles aboutissent si souvent à la dictature, qui est de beaucoup le plus simple des gouvernemens et se résume en ce mot : Je veux. Il se plaint aussi que, dans les pays de suffrage universel, la souveraineté politique se répartit sur un si grand nombre de têtes que la quote-part réservée à chaque citoyen est insignifiante, se réduit presque à rien, ou du moins n’a pas de prix évaluable. Il en résulte que les gens éclairés ou occupés, se désintéressant de plus en plus de la lutte des partis, se tiennent à l’écart, laissent le champ libre aux oisifs, aux énergumènes et aux intrigans. « En Angleterre, on vendrait volontiers ses droits, si la loi le permettait ; en Amérique, on les vend, en dépit de la loi ; en France et même en Angleterre à un moindre degré, le nombre croissant des abstentions témoigne du peu de valeur qu’on attribue à son vote. »

Enfin M. Maine déplore le système de corruption qui est la plaie secrète, le cancer intérieur des états démocratiques. Promesses de chemins de fer, de ponts et de canaux, promesses de places aux amis dont on veut récompenser le zèle ou aux ennemis dont on veut désarmer l’animosité, promesses électorales, par lesquelles on s’engage à supprimer de ce monde la misère, la nielle et la grêle, tels sont les artifices habituels dont on use pour surprendre la bonne foi du peuple-dieu et obtenir de lui des oracles favorables. On dit que les rois coûtent cher. Prodigues des deniers publics, les démocraties, quoiqu’elles soient dispensées de subvenir aux frais d’une cour, sont toujours endettées, tant elles ont de cliens affamés à mettre à l’abri du besoin, de bouches inutiles à nourrir, et du même coup M. Maine les accuse de travailler à l’abêtissement des nations en les repaissant d’espérances chimériques, de veut et de fumée, en s’appliquant à leur persuader que les drogues de charlatan guérissent de toutes les maladies. Que deviendraient les tribuns si les peuples étaient moins badauds ?

Toutes les institutions humaines étant fatalement imparfaites, il est aisé d’en médire, et sir Henry Maine n’a pas épuisé son sujet. On pourrait ajouter à la liste de ses griefs qu’un gouvernement démocratique, trop sujet à confondre la volonté générale d’une nation avec les