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Il ne s’agit point d’ailleurs d’intervenir en France « pour soutetenir le rétablissement complet de l’ancien régime. » Kaunitz jugerait l’entreprise trop hasardeuse en soi, et l’intérêt de l’Autriche n’est nullement de resserrer « les ressorts internes de cette formidable monarchie. » En prenant leurs mesures de précaution et de sûreté, les puissances a rassureront la nation sur les appréhensions d’une contre-révolution violente et absolue. » Elles feront appel aux modérés, qui sont les plus nombreux, et se trouvent, en ce moment, opprimés par les factieux. Mais si les représentations collectives adressées à la France ne sont point suivies d’effet, les agens diplomatiques seront aussitôt rappelés ; les puissances alliées supprimeront avec la France « toutes communications de personnes et de commerce ; » elles appuieront leurs démarches par un déploiement de troupes « très considérable » destinées, le cas échéant, à « réprimer et repousser les hostilités et violences que la France entreprendrait au dehors. » L’Autriche et la Prusse mettraient chacune sur pied cinquante mille hommes. Outre la liberté du roi et la garantie des principes essentiels du gouvernement monarchique, Kaunitz proposait de réclamer la répression de la propagande, la restitution des droits féodaux ou un dédommagement en territoire aux princes allemands possessionnés en Alsace, enfin la réintégration du pape dans la possession d’Avignon et du Comtat.

Léopold savait déjà et s’assura de nouveau par Fersen, qu’il vit le 4 août, que ces propositions étaient conformes aux vues de la famille royale. Il en instruisit la régente des Pays-Bas. « Ne craignez rien, lui écrivait-il, ne vous laissez induire à rien et ne faites rien de ce que les Français et les princes vous demanderont, hors des politesses et des dîners ; mais ni troupes, ni argent, ni cautionnement pour eux. » Il séparait absolument la cause du roi de France de celle de l’émigration ; en cela, il se conformait aux vœux répétés de Marie-Antoinette aussi bien qu’aux plus pressans intérêts de la famille royale. Il ajoutait : « Je fais ma paix avec les Turcs… Je pousse l’Empire dans les voies légales. » L’Empire délibéra ; l’électeur de Trêves, très effrayé, réclama des secours de l’empereur : Léopold répondit que 6,000 Autrichiens et 6,000 Prussiens allaient se porter en Souabe et en Franconie. La France en fut avertie. C’étaient les premiers résultats de l’entente de l’Autriche et de la Prusse. Cette entente semblait assurée, et l’on s’occupait activement de la sceller par un traité formel, Bischoffswerder le négociait à Vienne avec Kaunitz.

Le vieux chancelier n’avait jamais en de goût ni d’estime pour la France. Après l’avoir exploitée en la méprisant sous Louis XV, il en avait subi avec impatience le relèvement momentané sous Louis XVI ; il la détestait dans la révolution. Il fallut que cette haine fût bien forte chez lui, car elle l’emporta sur l’inimitié qu’il portait