Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 75.djvu/332

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

aux Prussiens. Ceux-ci, du reste, se montraient aussi souples qu’insinuans. Kaunitz n’avait pas eu de peine à se tenir en garde contre Frédéric et ses élèves : les sarcasmes du roi philosophe, l’arrogance de ses agens et les fanfaronnades de Hertzberg le mettaient hors de lui ; il rencontrait maintenant un homme du monde très poli, courtisan au parler doucereux, toujours prêt à se répandre en effusions sentimentales ou en confuses congratulations. Plus infatué que jamais de sa personne et de ses idées, Kaunitz se laissa, malgré tout son scepticisme, engluer à l’appât théosophique. Il s’imagina qu’il mènerait Frédéric-Guillaume et son favori comme il avait mené Louis XV et sa maîtresse. S’abusant sur la crise de l’Europe comme il s’abusait sur son propre génie, il crut trouver dans l’alliance prussienne une brillante et facile revanche de la rupture de l’alliance française. Un traité préliminaire fut signé le 25 juillet. Il était « calqué » sur celui de 1756 et faisait, selon le mot du vieux chancelier, « à peu près le second tome du traité de Versailles qui a étonné toute l’Europe dans son temps et a sauvé alors la monarchie autrichienne. » Il stipulait une alliance défensive et la garantie des possessions respectives : les alliés s’engageaient à suivre une politique commune dans les affaires de France et à maintenir « l’intégrité de la libre constitution de Pologne. » La signature du traité définitif était subordonnée au règlement de la paix entre l’empereur et les Turcs : elle se conclut le 5 août, à Sistova. Rien ne semblait plus désormais détourner l’Autriche de son projet d’intervention ; mais ce projet dépendait d’une entente entre les puissances, et les réponses qui arrivaient de différentes cours montraient que cette entente était fort improbable. Il avait suffi de vouloir réunir un instant la vieille Europe pour en constater l’incohérence et l’anarchie.


IV

« Sans l’aveu de l’Angleterre, rien ne se fera d’efficace, » déclarait Mercy, qui était sincèrement dévoué à la reine et travaillait avec zèle, de Bruxelles où il s’était retiré, à lui venir en aide. Il se rendit à Londres et trouva les Anglais aussi mal disposés que possible pour le congrès. C’était leur intérêt : il éclatait ans yeux de tout le monde. La France se consumait dans l’anarchie, ses colonies se désorganisaient ; l’Angleterre, qui convoitait en particulier Saint-Domingue et l’Ile de France, s’attendait à les voir tomber dans ses mains. Les fonds anglais s’élevaient à uni taux prodigieux. La neutralité offrait ainsi à l’Angleterre, sans frais et sans périls, tous les avantages d’une guerre heureuse contre la France. « Vous connaissez l’histoire d’Angleterre, » disait