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trop occupé des principes et pas assez des garanties. L’article des hypothèques manquait dans le contrat qu’il avait minuté le 25 juillet : les ministres ne se pressèrent pas de le ratifier. Frédéric-Guillaume les laissait faire, jugeant qu’il y avait du bon dans leurs scrupules de praticiens. Sûr que ces prudens conseillers ne l’engageraient point à l’aventure, il s’attribuait l’honneur gratuit des beaux sentimens, il accueillait les émigrés, qui le flattaient dans toutes ses vanités, et il encourageait sons main Bischoffswerder à persister dans le rôle vertueux qu’il avait commencé de jouer à Vienne.

Ce manège de théosophie, de politique, de cupidité et de grandeur d’âme préoccupait l’empereur, beaucoup trop clairvoyant pour s’en laisser abuser. « Ils disent toujours qu’il faut voir, qu’il faut s’arranger sur les moyens, répétait-il à Fersen ; ils voudraient savoir qui paiera les frais ; ils veulent être assurés de ce paiement ; comment les en assurer ? Je crois qu’ils voudraient être nantis de quelque chose, et quand ils l’auront, le rendront-ils ? Vous savez que ce qui est bon à prendre est bon à garder, et j’ai peur que ce ne soit là leur principe. » C’était un cercle vicieux, et de toutes ces correspondances diplomatiques il ne résultait qu’une conclusion : l’impossibilité de former un concert entre les puissances. Or, sans ce concert, Léopold ne voulait rien entreprendre ; il estimait que c’eût été « se sacrifier » inutilement ; et le sacrifice n’était point dans ses goûts. L’Europe refusait de croire au danger qu’il lui dénonçait ; au fond, il n’y croyait guère davantage. Toutes ces belles causes d’intervention que sa chancellerie avait savamment, déduites, n’étaient, à ses yeux, qu’un thème de diplomatie. Cette négociation avortait comme avaient avorté beaucoup d’autres. Il l’abandonna et revint à son système favori : la temporisation. Les nouvelles de France lui en fournirent sinon un motif sérieux, au moins un prétexte décent. Marie-Antoinette lui fit tenir officiellement par Noailles une lettre portant que tout était bien changé en France, que l’assemblée préparait la constitution, qu’en l’acceptant le roi assurerait sa liberté et qu’il avait lieu d’espérer qu’on pourrait s’entendre avec l’assemblée. Cette lettre était datée du 31 juillet ; le même jour, la reine mandait secrètement à Mercy qu’il n’en fallait pas croire un mot, que ce n’était qu’un leurre pour endormir ses geôliers, que ses dispositions véritables demeuraient toujours les mêmes et que, si elle attendait de l’empereur une réponse ostensible destinée à rassurer l’assemblée, elle comptait que, dans la réalité, il continuerait à suivre les négociations entamées en vue de l’intervention. Léopold n’eut pas le moindre doute sur la pensée de sa sœur ; mais il lui convint de se méprendre sur le sens de ses lettres, il aperçut là une échappatoire, et il en profita.