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nouveau mémoire relatif à la régence et aux feintes promesses de Pillnitz. L’empereur en était obsédé. « Je lui ai dû répondre fortement, écrivait-il, le 5 septembre, à sa sœur Marie-Christine, et protester que je désavouerai publiquement toute démarche qu’ils feraient contraire à ce que nous avons fixé à Pillnitz avec lui. Ces princes, avec leurs projets, et Calonne surtout, qui les dirige, se mêle de tout, et qui est un très mauvais sujet, ne pensent qu’à eux et point au roi ni au bien de la chose, et ne veulent qu’intriguer et engager, moi et le roi de Prusse, à quelque démarche pour nous obliger ensuite à la soutenir avec toutes nos forces. Avec ces gens-là, il n’y a rien à faire, et on ne peut aider le roi et la reine qu’avec le parfait concours de toutes les cours, qui sera difficile, l’Espagne ne voulant pas agir et l’Angleterre voulant l’empêcher. « Il ne se borna point à déclarer ces idées, il les fit sanctionner, en quelque sorte, par une conférence ministérielle, qui fut tenue le 10 septembre et dont on dressa le protocole. Loin de pousser l’Empire à prendre les armes, il retardait les mesures de la diète. Il écrivait à la régente de Belgique : « Des troupes que vous avez aux Pays-Bas, rien ne sera employé contre la France. » Enfin, il recommandait à Marie-Antoinette de composer avec l’assemblée, et il faisait conseiller sous main aux membres du parti modéré de transiger avec la cour.

« La poltronnerie et la faiblesse du bon Louis XVI nous tireront d’affaire, » avait dit le vieux Kaunitz après avoir lu la déclaration de Pillnitz[1]. La nouvelle que Louis XVI acceptait la constitution arriva à Prague le 25 septembre et elle y fut la très bien venue. L’empereur déclara tout haut que, « depuis que le roi avait sanctionné, il n’y avait plus rien à faire. » Le ministre ne montra pas moins de satisfaction que le souverain. « Nous devons, nous et compagnie, écrivait Kaunitz, remercier Dieu que le bonhomme de roi nous ait tirés, par sa détermination, du mauvais pas dans lequel nous étions engagés. » Léopold quitta Prague, parfaitement soulagé de ses inquiétudes. Fersen tomba dans le plus profond découragement et il écrivit à Gustave III : « Je ne suis pas trompé sur les projets du cabinet de Vienne ; ils sont dilatoires et tendent à traîner jusqu’au printemps pour se dispenser d’agir. » C’était l’impression qu’emportaient aussi Hohenlohe et Bouillé.

Telle était la valeur réelle de cette déclaration de Pillnitz, « que les politiques ont rangée dans les classes des comédies augustes, » disait Mallet du Pan. Les politiques, en effet, ne s’y méprirent pas[2].

  1. Lettre à Spielmann, 4 septembre 1791. Vivenot, I, p. 24.
  2. Voir la lettre de La Marck à Mercy, du 10 septembre 1791 : « Les puissances sembleraient s’accorder d’abord sur des projets hostiles à la France, qu’il serait chimérique de compter sur la durée de cet accord, etc. » Comparez la très curieuse lettre que Napoléon Bonaparte écrivait de Valence, le 27 juillet 1791, et qui est peut-être son premier jugement sur l’Europe : — « Aura-t-on la guerre ? J’ai toujours été pour la négative, etc. » (Castan, Premières Années de Bonaparte.)