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capitaux ont eu plus de penchant à émigrer, à coloniser, à affronter des risques de toutes sortes, les hommes eux-mêmes sont devenus moins sédentaires et ils suivent avec ardeur les capitaux partout où ceux-ci les appellent et les rémunèrent. Les progrès de l’industrie, qui se manifestent de cent façons, par des inventions, des découvertes, ou même par de simples améliorations de procédés, par ces modifications légères que les ouvriers appellent des tours de main, ont contribué et contribuent chaque jour à ce développement incessant de la production et à la baisse des prix. Enfin le dernier facteur et non le moins énergique, c’est le perfectionnement des voies de transport, surtout par mer, depuis quinze années. On a fait le calcul que, grâce aux nouveaux types de navires, à la connaissance plus exacte des routes commerciales, au percement des isthmes, aux installations des ports, au télégraphe qui rend les ordres instantanés et épargne aux navires la nécessité d’attendre longtemps des chargemens, chaque marin anglais transporte actuellement deux fois plus de marchandises qu’en 1870, trois fois plus qu’en 1860 et quatre fois plus qu’en 1850.

Voilà les causes générales, incontestables, qui ont agi et continuent d’agir sur les approvisionnemens du monde. Chercher ailleurs l’explication de la baisse des prix, c’est fermer volontairement les yeux. En vain prétendra-t-on que la baisse du métal d’argent, qui perd actuellement 22 pour 100 de la valeur que lui attribue notre tarif monétaire, donne aux Indes un avantage pour leurs exportations. Au milieu de phénomènes si vastes et si intenses, ce n’est là qu’un détail insignifiant. La plupart des denrées qui ont fléchi de prix ne sont pas produites dans des pays à étalon d’argent. Les grands marchés producteurs de cuivre, par exemple, ne se trouvent pas en Orient, mais en Occident ; c’est l’Espagne et surtout les États-Unis d’Amérique. Il en est de même pour le fer, de même aussi pour la laine, qui vient surtout de colonies anglaises à étalon d’or, l’Australie et Le Cap, et d’une contrée qui, avant de tomber récemment dans le cours forcé, se servait aussi comme monnaie du métal d’or, la République argentine ; même le sucre et le coton sont pour la plus grande quantité produits dans des contrées où la baisse du métal d’argent n’a aucune influence directe.

Il faudrait d’ailleurs, s’entendre sur les résultats réels d’une monnaie dépréciée pour le commerce extérieur d’un grand pays. Quand il s’agit de l’Inde, tantôt on prétend que la baisse du métal d’argent constitue pour elle un énorme avantage parce qu’elle lui permet de vendre ses marchandises à un prix qui, calculé en or, se trouve au-dessous de celui de ses concurrens ; d’autre part, presque tous les financiers officiels de l’Inde et de l’Angleterre gémissent sur les embarras dont la baisse de l’argent est l’origine pour le