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d’une froide réserve ; il restait impénétrable. Il laissait à ses journaux le soin d’attiser le feu et d’entretenir des espérances qu’il était bien décidé à ne pas satisfaire. Il n’avait aucun intérêt à intervenir ; ce qu’il voulait, c’était laisser se développer et s’envenimer l’antagonisme entre la France et l’Italie et nous aliéner à jamais notre alliée éventuelle. Le langage qu’il nous tenait n’avait rien qui pût nous inquiéter ni altérer nos résolutions. Il parlait de Garibaldi et de ses auxiliaires avec dédain ; il ne ménageait pas le cabinet de Florence ; il faisait justice de ses assertions au sujet de la défense de ses frontières. « La Russie, disait-il, trouve bien le moyen de surveiller ses frontières occidentales de façon à ne pas y laisser passer un seul homme sans sa permission ; il n’est pas admissible que 50,000 Italiens fussent impuissans à accomplir la même tâche sur une frontière, infiniment moins étendue. »

Les inquiétudes croissaient à Rome, on se demandait si l’on pourrait soutenir longtemps une lutte qui devenait de plus en plus inégale. Les moyens de défense étaient limités, tandis que les rangs des agresseurs grossissaient d’heure en heure. Le proministre des armes et le cardinal Antonelli, sur qui pesait l’organisation de la défense, se montraient soucieux ; ils disaient qu’ils n’avaient, dans chacune des provinces, que de faibles contingens à mettre en ligne. Ils prévoyaient le moment où ils seraient débordés si la France n’intervenait pas. Ce qui les consolait, c’était la fidélité des populations, qu’aucune excitation ne détournait de leurs devoirs. Pas une ville, pas une bourgade ne pactisait avec la révolution. Dès que les bandes s’éloignaient, l’autorité légitime était spontanément rétablie ; la bourgeoisie demandait des armes pour soutenir la cause du saint-siège, et les squadriglie, — des paysans enrôlés, — rivalisaient de courage et de fermeté avec les troupes régulières. C’était le démenti le plus éclatant aux journaux italiens, qui s’efforçaient de donner le change à l’Europe en parlant de l’insurrection des populations romaines, tandis qu’il ne s’agissait, en réalité, que d’une invasion combinée de longue main par le parti révolutionnaire. Il n’en coûtait pas à la presse de dénaturer les faits pour monter les esprits ; elle prétendait que l’armée, les zouaves pontificaux eux-mêmes, pactisaient secrètement avec les bandes garibaldiennes ; elle transformait les défaites en victoires ; elle disait que le pape était découragé et préparait son départ. Rien n’était moins exact. Pie IX ne cédait point au découragement, les difficultés de la lutte fortifiaient son énergie, mais il prévoyait, et ne le cachait pas à notre diplomatie, que si l’assistance devait tarder, il succomberait sous le nombre.

Le péril était imminent ; le salut de Rome dépendait de la