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jetait à la traverse de sa politique et le condamnait à des répressions impopulaires, à d’humiliantes capitulations. Il est vrai que chacun des échecs sanglans que son passage aux affaires attirait à l’Italie était comme un germe fécondant et tournait au profit de son unité. Sans Novare, sans Aspromonte et sans Mentana, Rome ne serait pas aujourd’hui la capitale de l’Italie. « L’Italie, disait Gioberti, se fera par les souffrances et les larmes de ses patriotes. »

Le roi parut se séparer de son ministre à contre-cœur : « C’est un véritable patriote, c’est mon ami, » disait-il, à une députation qui, au lendemain de la chute de M. Rattazzi, lui demandait de marcher sur Rome. Il est vrai que, quelques semaines plus tard, Victor-Emmanuel l’immolait en passant en revue avec M. de Malaret, au retour de son long congé, les événemens des derniers mois. Il parlait en termes sévères de sa conduite ; il l’accusait d’avoir été d’abord l’adversaire de la révolution, puis son complice. C’est aux menaces qui l’avaient assailli au lendemain de l’arrestation de Garibaldi et à l’émotion qu’il en avait ressentie, que le roi attribuait sa conversion. Il lui reprochait d’avoir fourni de l’argent et des munitions à la révolution et, pour se soustraire aux charges d’une complicité manifeste, il se donnait le mérite d’avoir provoqué sa démission par la vivacité de ses remontrances. « En 1804, disait M. Thiers dans son Histoire du consulat et de l’empire, la Prusse avait un roi qui mettait du prix à passer pour honnête et qui aimait les acquisitions de territoire. On possédait un singulier moyen de tout expliquer d’une manière honorable : les actes équivoques étaient attribués à M. d’Haugwitz, qui se laissait immoler de bonne grâce à la réputation de son roi. »


II. — L’EVASION DE GARIBALDI.

En 1867, l’Italie était loin d’être ce qu’elle est devenue depuis, un grand royaume, uni, prospère, centralisé ; ses fondemens étaient peu solides, elle manquait de cohésion ; son crédit était discuté, son organisation militaire laissait à désirer, son administration manquait d’expérience et d’autorité. Les affirmations patriotiques de la presse et de la tribune ne suffisaient pas pour cacher ses faiblesses et ses divisions. Il y avait, en réalité, en Italie, deux armées et deux gouvernemens : Victor Emmanuel était le chef de l’armée régulière et du gouvernement officiel, et Garibaldi, tour à tour député, dictateur, tribun ou ermite, commandait une armée irrégulière qui avait ses officiers, ses généraux et qui tenait la couronne et les ministères en échec. Il eût suffi alors que la France témoignât au gouvernement du roi du mauvais vouloir et encourageât sous main les