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sympathiques. » Jamais comparaison ne fut moins raison que celle-là. Il ne faut demander à Mendelssohn ni les ivresses factices, ni les excitations malsaines, ni les caresses suspectes. Nul poison n’a corrompu le sang qui fait battre son cœur, nulle fièvre n’en précipite les mouvemens. Écoutez le nocturne du Songe, cet admirable chant des cors, et dites si jamais une ombre plus sereine est descendue des cieux, si, du sein de la terre endormie, se sont jamais exhalés des soupirs plus réguliers et plus mystérieux. Qui ne connaît l’auguste apaisement de la solitude et du silence, et les bienfaits de la nuit ? Mendelssohn a rendu dans toute leur majesté ses puissances pacifiques et ses calmes enchantemens. Pendant le nocturne, les sylphes eux-mêmes reposent, et l’on n’entend sous bois que la brise, le froissement ou la chute des feuilles, toutes ces voix indéterminées de la nature, qui ne se taisent jamais. Ah ! ne regrettez pas ici les mensongères extases et les délices équivoques ; il n’est pas de philtre qui puisse vous endormir d’un semblable sommeil.

L’exécution du Songe à l’Odéon est médiocre. Fanny, la sœur de Mendelssohn, écrivait après la première représentation à Berlin de l’œuvre de son frère : « Je n’ai jamais entendu un orchestre jouer aussi pianissimo. » Nous ne saurions en dire autant. Les musiciens de M. Colonne jouent trop fort et trop vite. Le quatuor n’est pas assez nourri ; le rythme de l’ouverture nous a paru boiteux, et les sonorités un peu aigres, même dans les ensembles. Le scherzo veut être rendu avec plus de finesse, et le ravissant duo des fées accompagné moins rondement. Enfin, tout en blâmant l’indiscrète interpolation dans le Songe de la Chanson de printemps et de la Fileuse, deux romances sans paroles écrites pour le piano, nous regrettons encore davantage qu’on ait, par une interversion, dénaturé la scène finale. La vaporeuse partition de Mendelssohn s’achève en réalité par des murmures et non par des fanfares ; non pas dans le fracas de la marche nuptiale, mais dans le susurrement des sylphes. Le musicien a senti, avec le poète, que cette fantasmagorie légère devait se dissiper comme un rêve, et le plus beau moment de la pièce, écrit encore Fanny Mendelssohn, est précisément à la fin. Le cortège s’est retiré ; peu à peu l’obscurité se fait sur le théâtre. La marche nuptiale s’éloigne de plus en plus, et par une dégradation charmante se fond dans le thème jaseur de l’ouverture : les gentils lutins envahissent de nouveau la scène. Cette fois, ils ont achevé leurs espiègleries ; ils ne tourmenteront plus personne, et leur dernière chanson est un gracieux épithalame. Les voilà tout à fait bienveillans, chantant hymen, hyménée ! et promettant aux époux leurs éternelles faveurs. Pourtant les malins petits êtres semblent rire encore à la dérobée et, sous la phrase câline des fées, l’accompagnement qui sautille garde une vivacité moqueuse.