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nous émouvoir par la perfection absolue de l’exécution. Et cette voix infaillible ne sait pas seulement égrener une gamme chromatique de deux octaves ou filer un trille comme un fil d’or : elle sait aussi, mieux que toute autre, se poser sur un chant soutenu et conduire avec le style le plus pur une phrase de longue haleine. Je ne vois pas que Mlle Isaac ait à faire de nouveaux progrès, mais je gagerais que l’éminente et modeste cantatrice n’est pas encore de mon avis.

Nos artistes français, quand ils ont ce mérite, n’ont rien à redouter des chanteurs exotiques, même les plus renommés, qui peuvent traverser nos théâtres, mais non s’y fixer. Pour notre part, nous ne demanderons pas à M. Gayarre, qui nous quitte à peine, de revenir aborder en français un répertoire pour lequel il ne semble pas fait. Il ne saurait sans témérité se hausser jusqu’aux grands rôles de ténor. Le personnage de Vasco, le moins redoutable pourtant des héros de Meyerbeer et le mieux approprié à la nature d’un chanteur à demi italien, me parait encore au-dessus, je ne dis pas de cette voix, mais de cette interprétation. M. Gayarre étrique le rôle : il chante notamment le premier acte sans grandeur, mais avec une turbulence presque comique, à laquelle il ne fait trêve que pour s’élancer, hardiment d’ailleurs et s’arrêter, avec trop de complaisance, sur les notes hautes de sa voix. Même absence de noblesse dans la chevaleresque entrée du troisième acte. — Au quatrième, dans l’air : Pays merveilleux ! et dans le duo, le chanteur a des effets de mezza voce, des sons filés qui ne manquent certes pas de charme, mais aussi des tenues indéfinies, des oppositions brusques qui manquent de goût. M. Gayarre possède un souffle physique inépuisable ; mais le souffle artistique est plus court. Quand Vasco s’avance sous le ciel bleu, grisé de parfums, grisé de lumière ; quand il marche comme dans un rêve d’azur, je voudrais chez lui plus qu’une agréable surprise, une extase radieuse ; plus que l’admiration, l’adoration éblouie d’un monde soudainement révélé ; je voudrais le soleil dans ses yeux, le soleil dans son cœur ; je lui voudrais l’enthousiasme, c’est-à-dire un Dieu en lui,.. et dans M. Gayarre je ne soupçonne qu’un petit démon. On ne saurait nier d’ailleurs que M. Gayarre possède une voix très puissante ; mais le timbre en est malheureusement toujours guttural ou nasillard. Quant au style, c’est l’homme, on le sait, et, chez le célèbre ténor espagnol, l’homme manque d’ampleur.


M. Antoine Rubinstein vient de partir après avoir obtenu parmi nous un succès triomphal. Sept fois, le soir, il s’est mis au piano, et sept fois le jour il y est revenu, pour donner généreusement aux artistes les émotions et les joies qu’il avait vendues la veille au public