Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 75.djvu/551

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

difficile de dire qui des deux avait meilleure ou pire cause. Les griefs de la Porte étaient plus réels, ceux de la Russie plus apparens. L’humanité parlait pour celle-ci; la politique pour celle-là. La fortune elle-même sembla partager l’incertitude des esprits, dans cette première campagne du moins, dont le commencement fut si brillant pour les Russes et la fin si désastreuse. Nous étions de tout cœur avec eux, à ce point même que notre ambassadeur, M. de Mortemart, accompagna l’empereur Nicolas à la tête de son armée. En revanche, M. de Metternich, s’il se lavait ostensiblement les mains de tout, en qualité de neutre, se les frottait volontiers, et non moins ostensiblement, quand les Russes étaient battus.

Notre expédition de Morée, partie des côtes de France le 17 août, arrivée le 29 en vue de Navarin et précédée par cette nuée de volontaires de tout âge, de tout rang, de toute condition, qui couraient se ranger sous le drapeau d’Odyssée ou de Colocotronis, à défaut du nôtre, notre expédition, dis-je, ne courait point risque de rencontrer une véritable résistance. Nous n’étions pas précisément en état de guerre avec la Porte; nous étions dans cet état intermédiaire propre à notre temps, où la diplomatie fait son chemin, la baguette de Popilius à la main. La convention d’Alexandrie obligeait Ibrahim-Pacha à nous remettre les places fortes, à réembarquer ses troupes et à nous laisser le terrain libre ; ce ne fut pas, néanmoins, sans beaucoup de difficultés, d’hésitations, de pourparlers, voire même sans quelques coups de fusil tirés, vaille que vaille, que le général, bientôt maréchal Maison, réussit à déterminer nos bons amis les Turcs et nos meilleurs amis les Égyptiens à subir les conséquences du traité du 15 juillet.

Mais quel plaisir d’entendre notre roi (c’était bien le nôtre en cela) dire à son armée :


« Soldats,

« Je vous charge d’une grande et noble mission ; vous êtes appelés à mettre un terme à l’oppression d’un peuple célèbre. Cette entreprise qui honore la France, à laquelle tous les cœurs généreux applaudissent, ouvre devant vous une carrière de gloire que vous saurez remplir; j’en ai pour garantie les sentimens et l’ardeur qui vous anime.

« Pour la première fois, depuis le XIIIe siècle, nos drapeaux, aujourd’hui libérateurs, vont apparaître sur les rives de la Grèce. Soldats, la dignité de la couronne, l’honneur de la patrie attendent de vous un nouvel éclat; dans quelque situation que vous placent les