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et l’humeur batailleuse des habitans avaient valu à Avila le surnom de Cité des chevaliers. Plus tard, quand les Maures furent loin, les guerres civiles calmées; quand la politique royale, sous Charles-Quint et son fils, eut accoutumé les grands à vivre dans la paix et l’oisiveté et poussé le hidalgo pauvre vers l’église, le commerce ou le service du roi, les Avilais cherchèrent un autre emploi de leurs instincts héroïques, et la religion un peu farouche de l’époque le leur fournit. La ville se transforma en une vaste pépinière de saints, emportant le paradis d’assaut, à coups de discipline, comme leurs pères prenaient les châteaux à coups d’épée. La cité en reçut un nouveau surnom. Le peuple caractérisa en trois mots le lieu et ses habitans : Avila cantos y santos, disait le proverbe; — Avila n’est que pierres et saints.

Le père de sainte Thérèse, Alphonse Sanchez de Cepeda, comptait parmi ses ancêtres un roi de Léon. Sa mère, Béatrix Davila de Ahumada, appartenait à la plus vieille noblesse de Castille. La ligne paternelle et la ligne maternelle possédaient également, dans toute son intégrité, la limpieza ; c’est-à-dire qu’elles n’avaient jamais été alliées aux Maures, aux juifs ou autres races de sang impur. Le fait était de la plus haute importance dans l’Espagne d’alors, pour la considération publique et la situation sociale. Les préjugés contre le sang impur étaient si forts que, faute de fournir la preuve de la limpieza, on était exclu de la plupart des fonctions publiques. Sancho lui-même comprenait que, s’il avait cette tache, son maître ne pourrait jamais le faire duc ou gouverneur d’île. Il avait soin de lui dire : « Je suis vieux chrétien, et cela suffit. » — Sainte Thérèse, devenue carmélite, faisait fi, comme il convenait à son état, des distinctions mondaines : « Étant tous pétris du même limon, disait-elle, disputer sur la noblesse de l’origine, c’est débattre si telle sorte de terre vaut mieux que telle autre pour faire des briques ou du torchis. » Au fond, il lui resta toute sa vie, à son insu, un petit coin d’admiration pour la terre à briques dont se pétrissent les gentilshommes. Cela lui échappe çà et là. Elle a une manière de dire, en parlant d’une femme : « Elle était éminemment fille de gentilhomme, » qui sent jusque sous la bure l’arrière-petite-fille de roi.

Alphonse de Cepeda était de haute taille et de grande mine, l’air noble, l’humeur austère; il aimait qu’on fût pieux dans sa maison et entendait être obéi. Secourable aux pauvres, bon pour ses serviteurs, il refusa toujours, ce qui frappa beaucoup les siens, de posséder des esclaves, tandis qu’autour de lui on en avait des troupeaux, marqués au feu comme nos chevaux de cavalerie. Il vivait assez renfermé, lisant assidûment, et toujours des livres sérieux