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M. Rossi (Pelegrino), né à Massa Carrara, dans les états du duc de Modène, élevé à Bologne, entré jeune au barreau de cette ville, où siégeait une cour impériale très éclairée, sous la domination, bénigne à tout prendre, du vice-roi d’Italie, M. Rossi, dis-je, avait donné dès ses premières études les preuves multipliées d’une très haute et très rare intelligence. Il m’a conté à cet égard une petite anecdote qui se rapportait, j’ai lieu de le croire, à lui-même, bien que par modestie il l’attribuât à un anonyme. L’empereur Napoléon, passant à Bologne et visitant l’université, s’amusait à interroger les écoliers sur divers sujets et, en particulier, sur les sciences mathématiques et physiques. Le corps des professeurs lui présenta un jeune homme doué, disaient-ils, des facultés les plus rares et les plus précoces. L’empereur le mit sur la sellette, le pressa de questions, et fut charmé de ses réponses. Toutefois, durant le cours d’une démonstration épineuse et compliquée, un chiffre échappa au jeune adepte ; l’empereur, après l’avoir laissé continuer quelques instans, le voyant dans l’embarras, lui tira doucement l’oreille et, lui indiquant du bout du doigt l’omission, lui suggéra un expédient pour y parer. Il n’était pas toujours de si belle humeur.

Parvenu au premier rang parmi les avocats de Bologne et devenu du même coup le chef du parti libéral dans cette ville, la plus libérale de l’Italie, le jeune Rossi ne put éviter, lors de la sotte expédition de Murat en 1815, de seconder cette entreprise, dont l’issue ne se fit pas attendre. Sans devenir, après la facile victoire des Autrichiens, l’objet d’une persécution directe, il fut obligé de s’éloigner. Après avoir erré en Italie sans trouver sécurité nulle part, il vint, ainsi que je l’ai indiqué plus haut, chercher en Suisse un asile qu’il obtint de la généreuse protection de Genève, qui non-seulement le défendit contre les tracasseries étrangères, mais ne tarda pas à l’adopter.

Bien en prit à cette république, si petite en territoire et en population, et qui a tenu pendant plusieurs siècles une si grande place en Europe. Ce fut pour elle une illustration de plus, et les services qu’il lui a rendus, soit comme professeur, soit comme membre du conseil représentatif, soit comme député à la diète fédérale, ne seront point oubliés tant qu’il restera dans Genève des cœurs honnêtes, des esprits éclairés, et le regret de ses meilleurs jours.

Au moment où nous revînmes à Coppet, M. Rossi était déjà, je crois, citoyen de Genève et professait avec éclat le droit romain dans l’établissement consacré à l’enseignement supérieur qui, sous le nom d’auditoire, correspond à ce que nous nommons en France les facultés. En enseignant, il étudiait. Frappé de la singulière analogie qui se rencontre entre la procédure civile et criminelle de l’Angleterre et celle de Rome au temps de la république, il dirigea de