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d’attendre du zèle pour les austérités d’une réunion de filles dont beaucoup ont pris le voile sans goût, souvent même contre leur gré, parce qu’il faut bien être quelque part quand votre famille vous trouve de trop ou ne peut vous doter. L’opinion du monde poussait d’ailleurs dans le sens de l’indulgence. La fille ou la sœur embarrassante une fois embéguinée, les parens trouvaient le sacrifice suffisant et souhaitaient eux-mêmes qu’elle ne fût pas trop resserrée, trop dénuée de douceurs et d’agrémens. Un gentilhomme pauvre, dit un personnage de Calderon, qui ne peut marier sa fille selon son rang, « la met dans un couvent pour ne pas déconsidérer son sang. Pour lui, la pauvreté est un vice. » Dans la même pièce, l’héroïne bien et dûment religieuse, son amant pénètre dans le couvent au moyen d’une échelle et arrive, sans être aperçu, à la cellule de sa belle. Ces sortes de choses étaient fâcheuses si on les découvrait; elles ne « déconsidéraient » pas le sang comme l’aurait fait un mariage inégal. Sainte Thérèse, qui avait sondé la plaie, conseillait aux parens de marier leurs filles « même un peu au-dessous de leur rang, » plutôt que de les mettre au couvent sans la vocation, et elle déclarait leur donner ce conseil « dans l’intérêt même de leur honneur. » Nous croyons que si l’on a présente à l’esprit la manière dont se recrutaient les religieuses, non-seulement on se sent devenir indulgent, mais on admire qu’avec les mœurs du temps la perversion n’ait pas été plus profonde.

Quoi qu’il en soit, un couvent, fût-il de carmélites, était en général un lieu assez mondain, où les grilles étaient rares. La trop célèbre Mme d’Estrées, sœur de la belle Gabrielle et abbesse de Maubuisson, faisait jouer la comédie à ses nonnettes devant brillante compagnie, et c’était encore ce qu’elle faisait de mieux. Une religieuse de Ravenne, contemporaine de sainte Thérèse, a raconté, dans des pages ingénues, ses discussions avec sa charmante abbesse sur l’amour, et les grands chagrins qu’eut la « chère mère, » très honnête personne, pour avoir réduit son « serviteur » aux joies épurées et immatérielles de l’amour platonique. Les couvens espagnols offraient un peu moins de scandales que ceux de France et d’Italie ; cependant, sainte Thérèse, malgré sa réserve, nous laisse entrevoir à l’Incarnation même, qui comptait parmi les plus réguliers, un singulier va-et-vient dans le parloir sans clôture, dans les beaux jardins ombreux, aux eaux courantes, dans les cellules parées « d’objets mondains » qui les transformaient en boudoirs, dans les petits coins favorables aux rencontres discrètes. C’était un mouvement de visites reçues et rendues, de petits rendez-vous licites et « illicites » le jour et « dans les ténèbres ; » c’était un bruissement de romances et d’instrumens profanes, c’était des séjours au