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dehors, en vue de se récréer, c’était mille mondanités qui, pour être innocentes au fond, n’en étaient pas moins malséantes, et qu’un père de famille prudent n’aurait pas souffertes dans sa propre maison. Il est assez curieux d’observer que les Espagnoles, qui subissaient l’influence des mœurs mauresques et vivaient dans le monde à demi cloîtrées, trouvaient la liberté au couvent. Les mêmes actes, commis à l’abri et pour ainsi dire sous la garantie du voile, prenaient une autre physionomie aux yeux du public. Tel d’entre eux aurait été jugé trop « mondain » hors d’un couvent « qui, là, nous dit sainte Thérèse, passait en quelque sorte pour être du domaine de la vertu. »

Il y avait une compensation à ces faiblesses. Grâce à la largeur de sa règle, l’église voyait venir à elle, plus que de nos jours, des hommes et des femmes qui lui arrivaient tard, après avoir épuisé le monde et ses expériences, et qui gardaient sous le froc ou le voile, avec une certaine difficulté à plier, l’esprit d’initiative et le goût des actions rares. Ces sortes de personnes étaient précieuses pour l’armée militante de l’église romaine. Sainte Thérèse le vit bien et s’empressa d’en tirer parti. Ce fut elle qui donna aux carmes le fougueux Mariano, un superbe Italien, grand, vigoureux, énergique, vif comme la poudre, la langue leste, la main qui lui démangeait. Il était Napolitain, d’une famille noble et riche, et «excellait dans la poésie et l’éloquence. » Il coiffa le bonnet de docteur en théologie et se montra si habile en affaires, que les pères du concile de Trente l’envoyèrent en mission dans les pays du Nord. Pendant le voyage, la reine de Pologne eut la fantaisie d’en faire son intendant, après quoi il renonça solennellement à toutes les femmes, entra dans l’ordre de Malte, se battit comme un diable à Saint-Quentin et vint échouer dans une prison, accusé de meurtre. Au bout de deux ans, il fut reconnu innocent, et Philippe II, le jugeant à point pour diriger la jeunesse, le nomma gouverneur d’un prince. Il l’utilisait en même temps à des travaux d’ingénieur. En cet état, Mariano apprit qu’il existait dans un désert, non loin de Séville, une colonie d’ermites qui vivaient saintement dans une grande indépendance. C’était son fait. Il alla se faire ermite, et il l’était depuis huit ans quand sainte Thérèse le rencontra et se proposa à l’instant de le gagner. Il se laissa froquer et fut pour la réforme des carmes un soldat admirable, mais point commode. Il resta, jusqu’à son dernier soupir, le fougueux Mariano, toujours bouillant, toujours prêt à confondre le méchant, toujours saint Jean Bouche d’or. Dans les instans critiques où il aurait fallu temporiser, user de ménagemens, il mettait sainte Thérèse dans les transes à force d’être « franc et ingénu. »