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eût des pièces à sa robe, mais pas de trous, et les mains calleuses, mais pas de puces. Surtout, il fallait être gaies. Il ne s’agissait pas, avec elle, d’imiter ces dévots qui « prennent un air tout refrogné, n’osent plus parler ni respirer, de peur que leur dévotion ne s’en aille. » La mère Thérèse entendait qu’aux récréations on fût aimable, qu’on s’occupât à « réjouir les autres » et qu’on se gardât « d’enfouir son esprit, » si par bonheur on en avait — « Personne n’en a trop, » disait-elle et elle prêchait d’exemple, tenant tout le couvent sous le charme. Il semblera incroyable qu’une carmélite réformée puisse être gaie. Cependant, beaucoup le sont. C’est que la manière de vivre importe infiniment moins à notre bonheur que le but pour lequel nous vivons. Dès que l’homme a trouvé à cette existence un pourquoi qui le satisfasse, le comment le laisse à peu près indifférent.

Contente de son œuvre, la mère Thérèse ne songeait qu’à demeurer en paix dans sa petite maison, à y rendre la régularité toujours plus sévère, la piété toujours plus haute et plus vive, les casseroles toujours plus reluisantes. L’idée ne lui était jamais venue d’exercer une action sur l’ensemble de son ordre, et, par lui, sur les destinées de l’église catholique. Elle n’avait en aucune façon l’ambition de Jean Soreth. Étant venue au bon moment, elle se trouva poussée à exécuter ce que Jean Soreth avait tenté inutilement. Les circonstances avaient arrêté et écrasé l’un ; les circonstances portèrent l’autre. À travers quelles difficultés et quelles résistances, on va le voir.


V.

Philippe II ne séparait pas sa propre puissance de la puissance du catholicisme. Il se croyait né, non sans raison, pour être le pilier d’une église où la soumission est la grande règle. Toutefois, il prétendait qu’on lui obéît avant d’obéir au chef de l’église. Il l’avait aisément obtenu en se réservant la collation des emplois et bénéfices et en prouvant à son clergé qu’il avait pouvoir et volonté de le défendre contre Rome ; il arriva à ce dévot de nommer archevêque un homme que le pape avait excommunié pour désobéissance, mais une désobéissance que Philippe II approuvait. Moines et évêques étaient dévoués à un monarque dont ils attendaient tout, et en qui l’Espagne aimait précisément ce que l’histoire lui reproche : l’attachement aux formes extérieures du culte et le zèle contre l’hérésie. Philippe II avait une auréole aux yeux de la plupart des Espagnols : — « Ils ne l’aiment pas, écrivait le Vénitien Contarini, ils ne le vénèrent pas, ils l’adorent et regardent ses ordres comme tellement