Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 75.djvu/575

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sacrés qu’on ne peut les transgresser sans offenser Dieu. — Dans la lutte que sainte Thérèse réformatrice va avoir à subir, elle s’adressera au roi, tout naturellement, lui écrira comme elle pourra, sans souci de l’étiquette, et se soutiendra par lui contre le nonce du pape. Tout aussi naturellement, ses adversaires chercheront leur point d’appui à Rome.

En 1566, le général des carmes vint en Espagne sur l’invitation de Philippe II, qui aurait aimé que les moines fussent pauvres et saints, et qui s’apercevait qu’il y avait à faire, dans les deux sens, dans son royaume. Le père général prit quelques légères mesures contre les maisons d’hommes, qui les accueillirent fort mal, et s’en retourna prudemment à Rome. Son voyage, en apparence insignifiant, fut pourtant gros de conséquences. En passant à Avila, il avait visité Saint-Joseph et l’avait trouvé si conforme à ses vues, qu’il avait donné des patentes à la mère Thérèse pour fonder d’autres monastères semblables. « Je ne les avais pas demandées, » dit-elle, » et on peut l’en croire sur parole. Dès qu’elle les eut entre les mains, ce fut comme un trait de lumière. Le père général, en route pour l’Italie, fut rejoint à Valence par un exprès de la mère Thérèse. Elle lui demandait de donner aussi des patentes pour la fondation de couvens de carmes ramenés à la règle primitive. Il les donna.

Sainte Thérèse connaissait les progrès de la réforme protestante et l’urgence, pour l’église catholique, de lui opposer autre chose et mieux que des moines possédant « les meilleurs celliers » et des nonnes chantant la romance, au parloir, avec les jeunes gentilshommes. Elle savait que l’Espagne renfermait des élémens admirables pour l’ordre inhumain qu’elle rêvait de faire refleurir, qu’hommes et femmes se précipiteraient dans des cloîtres où l’on torturerait le corps et où l’âme s’enivrerait des voluptés mystiques. Les couvens actuels semblaient faits pour les Sancho Pança ; elle en voulait qui tentassent les don Quichotte. Au mois d’août 1567, elle se mit en route pour fonder une maison de carmélites à Medina-del-Campo, à quinze lieues d’Avila, et, dès lors, elle ne s’arrêta plus, sauf une réclusion forcée qu’on verra en son temps. Pendant les quinze ans qui lui restaient à vivre, la mère Thérèse parcourut l’Espagne sur sa mule ou dans un grand chariot installé en couvent. Elle traversa bien des fois la triste Castille, aux grands horizons couleur de poussière, vit l’Andalousie, où la mollesse du climat l’énerva, franchit les sierras sans arbres et sans routes, coucha dans les misérables auberges de muletiers, qui, aujourd’hui encore, en disent si long au voyageur sur l’Espagne, manqua continuellement de tout, et, rongée par la fièvre, un bras cassé et point remis, conspuée