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Elle avait composé, pendant sa captivité, le plus célèbre de ses écrits mystiques : las Moradas, les Demeures. Le livre est de ceux qu’on lira tant qu’il y aura une église catholique et des couvens et qui perdent, je ne dirai pas leur intérêt, mais leur sens, dès qu’on les lit hors de l’ombre de l’autel. Sainte Thérèse y compare l’âme à un château fait d’un seul diamant et contenant sept demeures. L’oraison est la porte du château. Par elle, on pénètre dans les diverses demeures où habitent le recueillement surnaturel, la jubilation spirituelle et autres états mystiques, jusqu’à ce qu’on parvienne à la chambre du centre, où s’accomplit le mariage spirituel, qu’il ne faut pas confondre avec les fiançailles. Ces choses ne sont pas à la portée de tous. Quand on s’imagine les comprendre, les écrits mystiques de sainte Thérèse doivent caresser délicieusement l’âme dévote. Ils ont de petits mots doux et tendres, des comparaisons gracieuses, des cris de passion dignes du soleil de Castille et, aussi, leur part de ces antithèses cherchées, de ces subtilités, de ce clinquant que l’Espagne d’alors aimait tant et qui plairont toujours à beaucoup, surtout parmi les femmes. Sainte Thérèse avait le goût de son temps et telle strophe de sa Glose, par exemple, se continue dans Lope de Vega et Calderon pour s’achever dans Corneille. Entre les variations de la Glose sur le thème : « Je me meurs de ne pas mourir » et les stances de Rodrigue, la parenté littéraire est proche.

Fort heureusement pour ses couvens, sitôt qu’il s’agissait d’affaires, la mère Thérèse laissait de côté les belles phrases et les sentimens alambiqués. Un chat était alors un chat et n’avait aucune chance d’être pris pour un séraphin. Les déchaux victorieux s’étaient réunis en chapitre général à Alcala (1581). La mère Thérèse en profita pour faire réviser et corriger les règlemens. Elle en voulait à ses deux grands ennemis : le mal du scrupule, qui ronge les esprits étroits ou timorés, et la saleté, qui sévissait sur les déchaux comme sur tous les autres moines. Elle avait passé sa vie à combattre ces deux fléaux. « Ne faites donc pas le béat qui se scandalise de tout, » écrivait-elle rudement à un prieur peu indulgent. A un autre, un futur prélat, qui avait toujours des distractions pendant ses prières et qui en faisait des embarras à sa conscience, elle écrit : « Pour ce qui est des distractions que vous éprouvez en récitant l’office, j’y suis sujette comme vous, et je vous conseille d’attribuer cela, comme je le fais, à la faiblesse de tête ; le Seigneur sait bien que, puisque nous le prions, notre intention est de le bien prier. » Ses carmélites la désolaient par leurs enfantillages à propos de niaiseries. Elle demande au chapitre d’Alcala de supprimer autant de sujets de scrupules qu’il sera possible : « Ayez soin, pour