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ce qui regarde les chausses des religieuses, qu’on ne spécifie point si elles doivent être d’étoupe ou de bure, mais qu’on dise simplement qu’elles peuvent porter des chausses ; car elles n’en finissent pas avec leurs scrupules. A l’article où il est dit que les toques des religieuses doivent être de chanvre de second brin, qu’on mette simplement qu’elles doivent être de toile... Je serais d’avis qu’on abolît le règlement qui nous défend de manger des œufs en carême et du pain à la collation... C’est pour les religieuses une source de scrupules, et cela nuit à la santé de plusieurs. » (Lettre au père Gratien.)

Sa largeur d’esprit était si grande, qu’elle tranchait par la négative une question que les moralistes ont discutée maintes fois et résolue dans des sens divers. Il arrive que notre esprit est traversé par des pensées que nous n’aurions pas autorisées si nous les avions prévues, et que nous condamnons, mais qui ne nous en sont pas moins venues, ne nous en ont pas moins donné la vision, sinon le désir, d’une faute et même d’un crime. Sommes-nous coupables de les avoir eues? En sommes-nous responsables? Sainte Thérèse répond : Non. « n’allez pas vous figurer, écrit-elle à sa nièce, qu’une simple pensée soit un péché, quelque mauvaise qu’elle soit. » On peut alléguer que le problème était plus simple pour elle que pour un autre : elle voyait le malin chuchoter les mauvaises pensées dans l’oreille des hommes. Que nous ayons affaire au diable classique, avec des cornes et une queue, ou à l’invisible démon de la perversité, tapi au fond de chacun de nous, la question ne m’en semble pas moins délicate. Je serais disposé, pour ma part, à être plus sévère que sainte Thérèse et à conseiller quelques remords, ne fût-ce que pour ne pas s’acoquiner à causer avec le diable.

Pour la saleté, jamais on ne lui fera accroire qu’elle soit un mérite aux yeux de Dieu. C’est « une chose terrible, » dit-elle ; et elle supplie qu’on ne regarde pas à l’argent quand il s’agit d’introduire la propreté.

La voilà vieille, usée, mourante. Que reste-t-il de la charmante Thérèse de Ahumada? A l’extérieur, rien : une petite femme ridée, percluse d’un bras, perdue de maux de cœur, à moitié paralysée, fiévreuse, endolorie, piteuse ; ses beaux yeux noirs parlaient seuls des triomphes passés. A l’intérieur, tout : une créature vive, aimable, exquise, au cœur de feu, qui, si elle n’avait été une sainte, aurait été Dyonise, cette Juliette espagnole[1] plus heureuse, mais plus impétueuse encore que sa sœur d’Italie ; et, en même temps, une femme de génie aux idées graves et hautes, d’une dignité incomparable.

  1. Dans la Fuerza Lastimosa, de Lope de Vega.