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voyez la force du bon sens! Pour être fidèle à son principe, M. Roll aurait dû, autour et tout près de sa figure, faire éclater ces surfaces de murailles ou grouiller tous ces passans qui, en réalité, dans une rue, forment toujours un fond brutal aux gens qu’on approche et qui gênent l’œil pour les isoler. C’est ce que Bastien-Lepage, à l’exemple de Manet, a essayé, avec sa conscience méticuleuse, de rendre en plusieurs occasions. M. Roll s’en est bien gardé et nous ne l’en blâmons pas. Afin de donner plus de relief, trop de relief peut-être à son personnage, qui prend ainsi l’aspect photographique, il a rejeté dans le fond, il a noyé, il a atténué l’agitation et le brillant réels des choses. Quand la vérité est la vérité, il y faut bien venir : la vérité, c’est qu’il serait inutile et qu’il est impossible de rendre la nature d’un seul coup, sous tous ses aspects, tout entière, et qu’il arrive toujours un moment où l’artiste est obligé de choisir et de simplifier : la science des sacrifices, dans l’art comme dans la vie, est le commencement de la sagesse.

Rien n’est plus amusant que de voir une série de bons portraits, rien n’est plus ennuyeux que d’en écrire ou d’en lire la nomenclature. Nous nous contenterons donc de rappeler que M. Paul Dubois et M. Hébert ont exposé chacun deux portraits de femmes où l’on retrouve, chez l’un, cette expression délicate de la vérité, chez l’autre, cette émotion de fine poésie qui donnent un accent si particulièrement distingué à leurs œuvres, et de signaler, entre autres, les études variées et intéressantes dues à MM. Friant, Mathey, Fantin, Carrière, Dannat, Courtois, Doucet, Morot, Machart, Wencker, B. de Monvel, Layraud, Callot, Mmes Breslau, Roth, etc.


III.

Le goût du paysage franc et naturel, la sympathie sérieuse pour les classes populaires qui se sont répandus depuis quelques années, ont modifié complètement les habitudes des peintres attachés à la représentation des sujets familiers, qu’on confondait tous autrefois, quelle que fût leur portée, sous le titre collectif de peintres de genre. Parmi eux, c’est désormais le petit nombre qui va demander à l’histoire ou à la littérature des anecdotes servant de prétexte à des mises en scènes spirituelles ou à des caprices de couleur. La plupart se vouent à l’interprétation ou à la copie des mœurs contemporaines : ils y apportent la gravité d’observation, l’ardeur d’imagination, l’amour de vérité, qu’on croyait autrefois devoir réserver à la peinture religieuse et historique. Beaucoup d’entre eux se montrent même disposés, sans des raisons toujours suffisantes, à donner à ces sujets familiers une importance